Chapitre 5

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Bonjour, désolée pour les fautes, mais je n'ai pas encore relut ce chapitre. En tout cas, n'hésitez pas à me signaler les fautes ou les erreurs éventuelles, ainsi qu'a me faire une petite critique dans les commentaires ;) Bonne lecture !

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Il regarde les gens qui courent autour de lui. Ils vont en cercle, comme au ralentit et parfois des yeux se posent sur lui, furtifs. Puis ils se détournent, vite. Il est dans la cour. Il regarde autour de lui, cherchant sa place. Le lierre sensiblement l'appelle, et Scylla va droit, la ronde d'enfants s'ouvrant sur son passage fantôme pour qu'il passe sans les toucher. Il se colle contre le lierre froid face au soleil. Du bout de ses tiges, du bout de ses feuilles, le lierre caresse Scylla. Il dessine fébrilement ses épaules carrées, sa taille maigre et ses omoplates creusées.

L'hiver avance doucement, se coule à petit pas dans le moule des saisons. Au même rythme pulse la sève dans la ramure qui s'étale sur la maison. Le lierre s'incurve lentement, et chaque jour la place de Scylla est plus marquée, plus profonde vers le mur. Bientôt, il peu percevoir des cris et des pleurs prisonniers du squelette vivant de la plante. L'hiver s'allonge. Les feuilles ont cessées de palper Scylla. Elles le reconnaissent, s'agitent même de joie à chaque contact, comme au début du froid. Le premier flocon ne tarde pas, se pose légèrement sur la langue de Scylla. Il fond de suite, mais le deuxième, tombé sur son épaule, s'accroche un peu plus longtemps. Le troisième, pendu à une feuille, résiste encore. Tantôt, une fine croûte se forme, solide et compacte. Scylla reste immobile, mais il n'a pas froid. Pourtant, des rides blanches sont apparues sur son visage. Elles tracent mille pistils luisants, mille fibres argentées sur la peau toujours noire, sous les yeux brillants de fièvre. Il n'a pas froid car le lierre s'est lié à lui, et partage les restes de soleil qu'il garde jalousement pour la maison. On peut même voir une large veinure ininterrompue sur l'une des feuilles, et qui se propage tranquillement sur l'épiderme lisse et sombre. La connexion est telle que Scylla sent couler en lui le sang sucré et poisseux. Il entend désormais distinctement tout les secrets, les chuchotis confiés au lierre, un soir au creux de la nuit. Les mots le fendent, purs et directs. Ils sont allégés à force de flotter entre pierre et végétal. Ce sont des secrets d'enfants sans noms, sans histoire, et ils n'en sont que plus forts, plus poignants. Des mots dépourvus de cynisme, d'empathie. Des mots petits, discrets, gentils et drôles. Des mots de titans illettrés, des mots pathétiques. Ils ne parlent pas de liberté, de courage ou d'espoir. Ils sont bien plus humbles, plus frêles. Des additions de mots ingénus, soustractions innocentes. Scylla les respire, comme il se nourrit de la sève du lierre. On dirait une coquille vide, appuyé comme cela sur un mur amer. Des voix anciennes le traversent, des voix de femmes et d'enfant. Il entend des prières, il entend des aveux. L'hiver s'en va, mais les rires et les voix, et Scylla sont toujours là. La neige a fondue, l'herbe a verdi. Le feuillage frémit, le lierre respire à nouveau. Scylla maintenant, fait parti du secret. Les autres ont eu le temps de l'oublier, et il s'est fait une place invisible dans leur ronde. L'hiver s'en va. Le printemps vient. Valse douce des saisons.

Un jour enfin, Scylla sort de sa torpeur. Il est debout près de la porte, des rayons de lumière pris dans ses cils. Ses yeux scintillent, et personne ne fait attention à lui. Le dernier contact avec les autres qu'il a eu remonte au début du long hiver, lorsqu'il a croisé le regard d'Alexandre avant de s'appuyer sur le squelette du lierre. Mais depuis quelques temps le domaine est ouvert, la faute au soleil, qui ne permet déjà plus de rester exposé sur le sable blanc étincellant. La forêt frémissante résonne enfin des longs rires aigus, privée qu'elle en était pendant sa léthargie hivernale. Et il sent qu'elle l'appelle, qu'elle l'attire vers son cœur. Pourtant il n'est pas du genre à explorer, ni a découvrir. Sa curiosité est comme liée quelque part en lui, il ne peut en percevoir que quelques bribes. Donc, il reste le plus souvent seul à un endroit, stagnant comme un poisson dans l'eau morte de son triste et rond bocal. Mais cette fois c'est différent. D'abord le soleil lui brûle le front, et la maison depuis peu se vide. La cour aussi est désormais nue de ses habitants. Tous ont migrés depuis quelques jours vers la forêt immense. Néanmoins, étant tous au nord, Scylla part vers le sud. Et peu à peu, les ombres humaines, et les éclats de voix disparaissent. Les ombres mouvante du lieu l'accompagnent, le suivent.

Pendant un temps, il s'emploie avec amusement à éviter les trouées lumineuses qui tombent des écarts d'entre les feuilles de la voute. Puis le jeu le lasse, et il marche tranquillement. Il n'est pas pressé par le temps, les cours n'ayant pas lieux le samedi. Il s'arrête, écoute, regarde et repart, fredonne un air, fait peur à des oiseaux, marque son chemin, saute, court, ralentit, respire, respire le vent doux qui souffle dans le sous-bois lumineux. Il frissonne parfois, lorsqu'il se trouve prit dans un courant venteux. La forêt est encore fraîche en ce début de juin. Il trouve étrange ce paysage, à lisière entre Méditerranée et terres françaises. Parmi les chênes et les pins, se dressent des palmiers démesurés, tiges folles surmontées des feuilles courbes et longues. Le sol se jonche de fraises rouges et de baies sombres tandis que l'air embaume le citron et le pin. Scylla continue de marcher droit, suivant aveuglement l'appel de la forêt. Il ne tarde pas à croisé la route d'un infime cours d'eau, qui coule à contre-sens. Scylla se penche pour boire une gorgée glacée, et l'eau vivifiante ruissèle dans son cou, mouille son torse lorsqu'il se relève.

Une cloche au loin retentit, et il se rappelle les Pyrénées, et les troupeaux de vaches que l'on entendait au loin, douce musique courant sur les flans géants des montagnes. Mais le bétail c'est lui, il est dix-huit heures. Il doit rentrer vite maintenant. La journée est passée vite, bouger un peu lui a fait du bien. En rentrant, il dira un mot au lierre, pour qu'il ne soit pas jaloux. Il reviendra demain, et marchera plus vite. Il a marqué son chemin de pierres et de croix en brindilles, pour ne pas se perdre.

Dans le réfectoire, tous n'ont plus qu'un mot en tête, à la bouche. La forêt sonne le glas de l'hiver, marque le début d'un temps de liberté.

Le lendemain, Scylla se lève le premier. Les corps autours de lui sont encore plongés dans les limbes de la nuit, et se soulèvent doucement sous les couettes chaudes. Il est prit d'une frénésie étrange. Ses membres, sont corps s'agitent vite. Il prend sa douche en un quart de temps, et part. Ni sac ni pull. Il fait encore frais pourtant, au petit matin de printemps. La terre, la forêt n'est pas encore chaude de rayons dorés. Il marche sur la terre mouillée de rosée. Il va pieds nus, et ne tarde pas à retrouver le petit ruisseau de la veille. Le soleil s'est levé. Le ruisseau s'écoule. La forêt bruisse. Et Scylla avance, il ne sait où.

Midi. Il croque une baie amère et noire. Elle se perd dans sa main, entre ses grands doigts fins. Le soleil cogne, mais il ne le sent pas, protégé par la ramure épaisse qui se prolonge à l'infini. Dans le sous-bois, la lumière ambre est douce, et Scylla se relève. Bientôt, le ruisseau s'élargit, et Scylla se doute qu'il est près de sa source. Devant lui se dresse un saule pleureur, dont les lianes coulent jusqu'au sol. Le cour d'eau passe en dessous, en douce vaguelettes émeraudes. Agité d'un soubresaut curieux, Scylla doucement glisse sa main entre deux pans de l'arbre. Il écarte lentement le rideau de feuilles et de fleurs légères.

Scylla ne croit pas en Dieu, en aucun des dieux de la terre. Il n'éprouve pas ce besoin qu'on les hommes de croire éperdument en l'être supérieur. On dit que Dieu réside dans le cœur qui bat en chacun. Le cœur de Scylla doit être trop fermé, trop profond. Et pourtant, lorsque d'un geste désintéressé il ouvre les pans de la toison immense de saule, il croit au paradis. Voilà qu'il est au jardin d'Eden. Tout y est ; le ruisseau qui prend sa source dans une mare ronde et jade, aux reflets verdâtre. L'ombre se fait ici plus éparse, l'air est chaud mais bon. La clairière résonne doucement des stridulations aiguës des cigales, et des croassements rauques des crapauds somnolents doucement sur quelques nénuphars dérivant sur la surface trouble. Et au fond de ce jardin ceint par une coupole d'arbres pleurant l'été, l'hiver, l'automne et le printemps, se dresse fièrement un arbre par deux fois centenaire. Dans ce cerisier blanc, arbre de la connaissance, poussent, à l'abri des regards, des grappes entières de fruits défendus. Et en chaque cerise est prisonnier un rayon de soleil, qui rend la chaire pleine et rouge, le fruit juteux et bon. Tout le jour, Scylla se gave, et le jus roule en gouttes sucrées sur ses poignets noirs. Puis, avant que la cloche ne sonne la fin de la liberté, Scylla pleure. Il pleur comme cela, sans raison aucune. Le lieu est tellement imprégné de solitude, de mélancolie, qu'il se laisse aller au bras des arbres, qui lui caressent le visage. La nostalgie du moment, hors de la forêt, hors de tout, l'a touché, ébranlé au plus profond de son être.


Scylla RobinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant