Chapitre 6 ~ Alexandre

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        Enfin ils ont ouverts les grilles ! Le parc s'ouvre à moi, et avec, le printemps saison d'amour. Clémence à côté de moi sourit, devant mon air rêveur. Je n'aime pas tellement l'hiver, elle le sait. Ce premier week-end signe la fin d'un temps générique et désagréable. J'entortille une mèche des cheveux de Clémence autour de mon doigt. Ils sont doux, j'ai envie d'y plonger la main. La ride du lion apparaît sur son front plissé, et ses joues se creuses. J'aime l'énerver, cela me fait rire. Les cours d'histoire de M. Rachin m'intéressent de moins en moins. Je leur préfère les maths, l'arithmétique. Victor est du même avis, la science humaine nous passionne. La machine du corps, le ballet impulsif du sang dans les veines, l'énergie et l'adrénaline. Le cerveau, centre des sentiments. Au final, nous sommes tous égaux sur ce plan, et se dire que les pleurs, que les cris, que mécaniquement, se serrer contre une poitrine chaude et fermer ses mains froides sur une gorge blanche provient d'un même ordre direct transmit par de petites cellules, inutile lorsque une, et incroyablement complexes quand elles se coordonnent en un groupe unique. Comprendre cette étrange machine me fascine. Clémence, elle, préfère les mots. Je leur reconnais qu'ils sont utiles, mais ils remontent au premiers temps de l'Homme. Ils ne font plus avancer, les questionnements d'aujourd'hui ont pour seule réponse des suites de chiffres quantiques, expliquant la terre.

C'est là la première cause de notre désaccord. Elle est les mots, je suis les nombres.

Le printemps avance, les animaux, les fleurs vivent partout dans le parc leur amour dénué de pudeur. Les joues de Clémence ont rosis, tout comme celles de Victor. Les jumeaux restent pâles tout au long de l'année, tandis que ma peau se darde d'une belle couleur dorée. Scylla devient plus noir de jour en jour. Clémence...

Je me souviens, lorsque sont arrivés les jumeaux à Saint-Pierre. Je suis allé voir tout de suite, curieux, cette cellule à deux corps. Lorsque l'un bougeait, l'autre poursuivait le geste en un mouvement subtil, rendant gracieuse cette paire d'enfants uniques. Je n'avais alors jamais vu, du haut de mes huit ans, d'êtres si semblables. Si bien les mimiques enfantines de leurs visages semblaient êtres une peinture mouvante faite à la gloire de l'autre, que les cheveux châtains formaient un casque les isolants du monde extérieur. J'avais dû donner de tout mon temps, de toute ma personne pour m'immiscer dans leur duo parfait. Et Clémence m'avait d'abord haï, comme Victor avec haï Raphaëlle, et ils gardaient encore aujourd'hui dans leur cœur une place immense pour l'autre, et avec, cette maladie jalouse qui leur rongeait les traits lorsque l'on lançait à l'un un regard trop inquisiteur. Mais, peu à petit, j'avais brisé la glace. Elle avait trouvé en moi un ami, un confident. Nous nous ressemblions, les mêmes centres d'intérêts, quand son frère n'aimait pas une chose, j'étais la pour l'aimer deux fois. Lorsque Victor différait de son avis, je complétais le vide. J'avais compris de suite que les séparer était chose impossible. Garder l'un pour moi n'aurais eu de sens, et ils ne m'aimaient que plus si je colmatais les petits désaccords qui les séparaient.

Et moi, qu'avais-je trouvé ? En Victor, un frère, un gardien de secrets, un homme de cœur. En eux une famille. Je me mords la lèvre en pensant à ce qu'est pour moi Clémence. Je regarde ses lèvres. Mon pouls s'accélère, je vois flou. Suis-je fou ? Mon amie... Elle ne ressent rien pour moi. Je le vois dans ses yeux, à chaque instant où elle les pose sur moi. Elle a encore ce regard d'enfant innocent, ces gestes ingénus et insignifiants. Sinon elle rougirait, sinon son corps n'irait pas insoucieusement contre le mien. Sinon ses bras n'enserreraient pas mon cou si fort, de peur que je ne devine. Sinon elle aurait pour moi cette même obsession que j'ai pour elle.

Qu'avais-je trouvé ?

Scylla RobinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant