Ils sont 13

Chapitre 2 : Questions sur eux

- Aie !

Fatigué, Félix lâche le crayon de couleur gras qu'il tenait. Ça doit faire deux bonnes heures qu'il dessine pour se distraire, mais non seulement rien ne donne le résultat qu'il veut, mais en plus, il ne prend aucune pause. Dessiner le distrait beaucoup, si bien que parfois, il ne réalise même pas ce qu'il dessine.

Cette fois, il essayait de se dessiner lui-même. Mais peu importe l'angle, la coiffure, les vêtements, l'expression du visage ou la pose avec lesquels il se représente, rien n'est à son goût. Lassé, il saisit un de ses dessins raté et se met à le plier avec précision et concentration. De cet élan créatif, il fabrique alors un avion qu'il voit déjà voler à travers les quatre coins de sa chambre.

- Au moins, comme ça, ce raté sera utile, se dit Félix.

D'un calme imperturbable, Félix prend soin de tout plier symétriquement, quitte à recommencer certains plis, et prend le temps d'appuyer sur les plis avec ses ongles pour les soigner au mieux. Ainsi, son dessin raté devient, en à peine deux minutes, un superbe avion en papier qui fait déjà briller les yeux du jeune patient.

Plein d'espoir, il se lève, armé de son tout nouvel avion en papier fait main, et se prépare à le lancer. Il examine chaque coin de sa chambre, chaque possible trajectoire, puis se positionne à l'endroit qu'il pense optimal pour viser. Là où il se trouve, s'il lance son engin, ce dernier passera par la moitié de sa chambre, puis par la porte, avant de se poser au sol contre l'autre mur. Une trajectoire de vol idéale pour un test comme celui-ci.

Félix ferme un oeil, vise, et lance son avion en papier. Comme prévu, l'avion s'élève lors de la première moitié de son parcours, puis traverse la moitié de la chambre en virant vers la gauche ; en un instant, il arrive à la porte.

Cependant, avant qu'il puisse atterrir, la dite porte s'ouvre sur le docteur Sheyfard : elle percute l'avion, qui s'écrase au sol.

- Rebonjour, Félix, dit Sheyfard. Tu permets que je rentre ? J'ai quelques questions à te poser.

Surpris par son psychiatre qui n'a même pas pris le temps de toquer avant d'ouvrir, lui qui en avait pourtant pris l'habitude, Félix réalise dans quelle position il se trouve : il est resté immobile depuis qu'il a lancé son avion, lui offrant ainsi une pose ridicule d'un point de vue extérieur. Qui se tient comme ça, sérieusement ? Ça lui donne l'air idiot ! C'est idiot ! Il aurait dû prévoir l'arrivée de quelqu'un.

Le garçon se redresse immédiatement afin de dissiper tout malaise, mais cela a l'effet inverse : toujours d'un point de vue extérieur, il n'a aucune raison de changer ainsi de pose d'un seul coup, à moins de cacher des choses. Sheyfard doit vraiment le trouver bizarre, à force d'avoir une telle attitude. En même temps, s'il ne faisait pas le pitre juste avant, il n'aurait pas eu ce problème. Il n'avait qu'à rester sage.

- Des ques-tions s-sur quoi ? demande Félix, dans une vaine tentative de cacher sa gêne.

- Eh bien, j'espère que ça ne te dérange pas, mais c'est à propos de ces douze amis dont tu nous parles souvent, avoue le psychiatre en essuyant sa nuque. Je t'ai préparé quelques questions, et tu peux répondre comme tu le souhaites, comme d'habitude. Je peux entrer, maintenant ?

Sentant son patient hésiter, Alan prend le temps d'observer son langage corporel. Son patient tourne la tête vers la gauche de la porte, semblant regarder quelque chose en hésitant l'espace de quelques instants, avant de faire un signe de tête approbatif, et de faire signe au psychiatre qu'il peut rentrer dans la chambre.

Sheyfard ferme la porte derrière lui et s'assoit au bord du lit de Félix, en prenant soin de froisser le moins possible les draps. Félix, lui, s'installe plus confortablement, du côté de son oreiller. Il a l'air prêt à répondre au questionnaire, mais, d'un autre côté, il semble fixer le mur derrière le psychiatre, sur lequel il n'y a pourtant rien. Il lui faut une bonne minute avant de sentir de la chaleur vers son visage : Alan lui tend un gobelet légèrement fumant.