1 191 mots ; rédigé en atelier d'écriture (thème : la métamorphose)
Franck et le croissant
Il était une fois un jeune homme. Un jeune homme qui s'appelait Franck.
Franck aimait les viennoiseries de toutes sortes, mais il adorait plus que tout les croissants : son petit plaisir coupable. Il lui arrivait souvent d'entrer dans une boulangerie au hasard, de parcourir les vitrines et corbeilles remplies de pâtisseries, pains et viennoiseries tous plus appétissants les uns que les autres. Pourtant, c'étaient toujours les croissants qui retenaient le plus son attention. Bien dorés, croustillants, fondants sous la langue. Un pur délice pour les papilles dont il ne pourrait jamais se passer.
Cela dit, voilà bien une éternité que Franck n'avait plus mis les pieds dans une boulangerie. Il avait pris de bonnes résolutions, bien que ce ne soit pas encore la nouvelle année, mais il s'était dit qu'il était temps qu'il fasse plus attention. Manger un ou deux croissants par jour, ça faisait beaucoup pour une alimentation saine et équilibrée. Mais les croissants... Ces si bons croissants dont il raffolait... Non, il devait continuer sur cette bonne lancée. Presque trois semaines qu'il résistait à la tentation. S'il appartenait à un groupe du genre « les dévoreurs de croissants anonymes », il aurait obtenu un petit badge pour le rendre fier de son exploit. Mais le voulait-il vraiment ? N'avait-il pas plus envie de se faire plaisir, finalement ? Un croissant. Juste un. Et après, on n'en parlerait plus. Un seul délicieux croissant pour le récompenser de tous ses efforts. Et s'il se donnait comme contrainte de ne pas manger plus d'un croissant par semaine ? Ça semblait raisonnable, non ? Rien ne lui empêchait un petit plaisir, surtout s'il continuait à manger sainement à côté.
Oui, c'était décidé, Franck s'accorderait un croissant par semaine. Et quoi de mieux pour démarrer la semaine que s'aventurer dans une boulangerie pour obtenir l'objet de ses rêves les plus fous.
Même si Franck avait ses habitudes, il fut, ce jour-ci, pris d'une petite folie : tester une nouvelle boulangerie. Peut-être qu'il découvrirait la perle rare, un boulanger qui préparait les meilleurs croissants qu'il ait jamais mangés. Franck ne pouvait pas passer à côté de cette occasion. Il y avait bien une boulangerie dans laquelle il n'avait encore jamais mis les pieds, et devant laquelle il passait pourtant souvent. Jamais à la bonne heure pour son petit plaisir coupable, ce qui expliquait qu'il n'y était encore jamais entré. Mais le moment était venu. En deux temps trois mouvements, il quitta son appartement pour s'y rendre. Ce croissant ferait office de petit déjeuner ; en plus de bien commencer la semaine, il commencerait bien la journée !
Le trajet fut plus court qu'il ne l'aurait cru, peut-être que son désir l'avait téléporté jusqu'à la boulangerie. Mais le fait était que Franck se trouvait déjà devant la porte. Il se décala pour admirer un instant les vitrines : pâtisseries petites et grandes les décoraient, des fruits et du chocolat de toutes les couleurs. Son regard se porta finalement sur l'employée derrière le comptoir. Elle était en train de déposer des croissants dans un grand panier, croissants qui devaient tout juste sortir du four. Franck ne pouvait pas espérer arriver à meilleur moment.
Ni une ni deux, il entra. Enfin. Il n'était plus qu'à quelques pas, quelques secondes du croissant de ses rêves. L'employée le salua, et il répondit d'un « bonjour » bien plus enjoué qu'il ne l'aurait voulu. Il fallait croire que son excitation était irrépressible... Sur le même ton, il demanda un croissant bien doré, et la vendeuse le lui glissa dans un sachet marron, avant d'énoncer le prix et de l'encaisser. Franck fut incapable de dissimuler son radieux sourire en quittant les lieux. Un peu plus et il sautillait sur place en chantant de joie. Mais un peu de tenue ; pour le monde extérieur, ce n'était qu'un croissant. Pas de quoi en faire toute une histoire. Pour son monde à lui, par contre...
Franck ouvrit le sachet et analysa longuement son achat : devait-il le dévorer tout de suite ou attendre encore un peu ? Peut-être qu'il ferait bien de se poser quelque part, là où il serait tranquille, bien installé devant une jolie vue. De quoi rendre le moment mémorable, en somme. Décidé, il prit la direction d'un parc non loin qu'il avait l'habitude de fréquenter, que ce soit pour lire, réfléchir, se vider la tête... Aujourd'hui, ce serait pour son petit déjeuner, et c'était encore mieux.
Son précieux sachet dans les mains, Franck s'installa sur un banc, dans un coin calme du parc et à l'ombre d'un grand arbre. Cadre parfait. Il prit une profonde inspiration et contint un petit cri de joyeuse impatience. Enfin, son croissant ! Il le sortit avec précaution de son sachet, de moins en moins capable de contenir son euphorie. Croissant ! Croissant ! Croissant ! Délice bientôt dans sa bouche !
Le croissant craqua sous ses doigts, et Franck crut même qu'une larme roula sur sa joue. Ah, quel bonheur que d'enfin sentir tout le croustillant de cette merveille. Les mains déjà poisseuses de gras, il porta le croissant à son visage et laissa les effluves de la pâte et du beurre lui chatouiller les narines. Il aurait pu en faire son parfum quotidien... Non, voyons, n'exagérons pas. Il aurait fini par se croquer lui-même, sinon.
Franck croqua une première fois ; la pâte à la fois croustillante et fondante provoqua une explosion de saveurs et de sensations contre ses papilles. Quel régal... Depuis le temps, il en avait oublié à quel point les croissants étaient délicieux et pourquoi il en raffolait. Son extase était à son comble, et il se maudit même pour avoir si vite dévoré sa viennoiserie. Quel idiot, il aurait dû faire durer le plaisir.
Un soupir dépité lui échappa et il s'épousseta les mains au-dessus du sachet marron. Les miettes n'en finissaient plus de tomber. Le croissant s'était autant effrité que ça entre ses doigts ? Même s'il était bien plus croustillant que d'autres croissants qu'il avait goûtés, ça restait une quantité étonnante de miettes. Franck attrapa un mouchoir dans sa sacoche et s'essuya les mains, mais rien n'y fit, les miettes étaient toujours aussi nombreuses. Il y avait un peu trop de miettes à son goût sur le banc et sur son jean. Beaucoup trop de miettes. Ça commençait même à faire vraiment trop pour un seul croissant. Les paumes tournées vers le ciel, il observa ses mains. Ses mains d'ordinaire pâles, aujourd'hui subtilement dorées. Et ses doigts. Ses pauvres doigts qui raccourcirent sous ses yeux ébahis, se collant entre eux pour bientôt ne former qu'un. Un drôle de moignon qu'il compara avec dégoût à l'extrémité d'un croissant.
Toute sa peau fut bientôt recouverte de ce voile doré et croustillant qui caractérisait si bien la viennoiserie, et ses bras raccourcirent à leur tour, tout comme ses jambes, et même son buste. Bientôt, son ventre avala ses hanches, ses cuisses, ses mollets et enfin ses pieds. Sa tête rentra dans ses épaules jusqu'à ce que le haut de son crâne ne soit englouti. Son torse rapetissa et atteignit bientôt une taille ridicule. La taille ridicule d'un croissant. Une pauvre viennoiserie qu'il avait aimé au point d'en prendre l'apparence.
Une dernière pensée l'effleura avant que la métamorphose ne s'achève : plus jamais de croissants.
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Le Désordre dans ma tête | Recueil de textes
RandomBonjour et bienvenue dans ce recueil de textes ! Les genres seront très divers et variés, tout comme la taille des textes. Il y a de tout pour plaire à tout le monde, et je vous souhaite de trouver votre bonheur parmi tous les écrits qui trouveront...