Le Froid du Njör

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La saison froide était définitivement terminée, et la saison douce elle, n’avait même pas eu lieu, le temps, déréglé par les maléfices, s’était écoulé plus rapidement, trop rapidement, assurément trop rapidement pour tous les nomades qui peuplent les collines bordant les lacs et les rivières, les plages bordant les mers et les océans. Et tous avaient fui devant l’arrivée de l’été. Le clan Kvasir avait choisi de fuir par la terre, mais certains, menés par leur intuition, prenant des risques incongrues, avaient pensé que fuir par la mer serait plus avantageux, car sur cet océan de glace et d’eau, l’été ne pourrait les suivre. Voici l’histoire du clan Njör, les Njör étaient des éleveurs de chiens et de chevaux, ils fournissaient les autres clans pour leur monture et leur chien de garde. Durant l’hiver, ils avaient amassé beaucoup de vivres en échange de leur précieuse marchandise. Grâce à la rapidité de leurs chevaux, ils avaient pu distancer longtemps les vents estivaux, profitant ainsi de multiple fois de l’avance qu’ils avaient pour se reposer et profiter encore de la fraîcheur de l’hiver. Mais, plus ils se reposaient, plus longtemps ils attendaient, et plus les vivres disparaissaient, consommés par les membres du clan, les chiens et les chevaux. Les animaux couraient tout le temps, et à force, ils se fatiguaient, surtout les chiens, qui eux n’étaient que peu habitué à une migration si rapide et soudaine, pour beaucoup, ils étaient encore jeune, leurs congénères plus vieux ayant été vendus aux autres tribus, jeune comme des louveteaux, jouant et filant à la moindre occasion. C’était dur de les garder à la file et de ne pas en perdre un seul. Alors, inévitablement, les plus grandes pertes étaient parmi les meutes de chiens, qui se perdaient les uns après les autres, trop lent, ou trop distrait par la nature, par d’autres chiens, par les humains. Mais la chaleur n’épargnait personne, pas même les mignons chiots qui s’éloignaient trop du troupeau. Voyant son troupeau diminuer de taille de plus en plus, Marsy, le chef des Njör, devait prendre une décision pour sauver le fruit de son travail. Il devait prendre des risques. Alors, après une longue réunion avec ses guerriers, Marsy décida de prendre le chemin de la mer, se dirigeant vers les côtes et les eaux gelées. Très peu de voyageurs osaient s’aventurer sur les glaces fragiles des océans. Surtout lors du dégel d’été, même si une grande partie des mers restaient longtemps gelées au fil du cycle, l’été rapide comme il était, pouvait causer de grands soucis. Mais, Marsy ,n’avait pas peur de prendre des risques. Il ouvrait la marche, avançant fièrement, faisant des pas plus grands que n’importe qui d’autres, rien ne pouvait l’empêcher de traverser les kilomètres de glace qui lui faisait face, tout du moins c’est ce qu’il pensait. Même à travers leurs bottes et bottines, les guerriers sentaient le froid monter sur leurs pieds, puis s’insinuer tout le long de leur corps. Ils avaient beau avoir chaussé crampons et clou de pierre, ils glissaient toujours autant, tenant miraculeusement debout, posant un pied devant l’autre avec le plus grand équilibre. Beaucoup glissèrent, se retrouvant face contre glace, voyant à peine leur reflet dans ces épais blocs. Mais, peu à peu, ils trouvaient de nouveaux points d’appui et d’accroche, la marche fut plus aisée, et finalement, tous s’adaptèrent, animaux comme humains, ils progressaient à bonne allure, suivant leur valeureux chef, Marsy, qui n’avait pas chuté une seule fois, il semblait indestructible, aussi grand qu’un menhir et aussi lourd qu’un buffle, tous le redoutaient, le craignaient, mais ils en étaient aussi fière, et surtout, malgré ces terribles rages et colères, il restait un grand ami de chacun, et il savait à chaque moment agir comme il le fallait, agir comme un chef. Depuis sa naissance, Marsy avait été préparé pour régner, il avait toujours attendu ce moment, et alors qu’il était encore adolescent, et que son père, le grand Astero, dirigeait d’une main de fer le clan Njör, Marsy commis l’irréparable. Il avait trop attendu, et au beau milieu d’une partie de chasse, il convoqua son paternelle en duel, un duel à mort. Contre toute attente, Astero accepta, et affronta son fils comme il aurait affronté le plus grand des guerriers, et c’est sans doute car Marsy est ce fameux guerrier. Après plus d’une heure, le combat se finit, Astero s’effondra, touché mortellement au foie par la lance de Marsy. Marsy remportait donc le trône, mais, il avait tué l’homme qu’il respectait le plus. Il ne comprit pas tout de suite son erreur, mais plus tard, il regretta ardemment ce duel, car il lui avait enlevé son seul modèle, la seule personne qui lui faisait peur, qui lui inspirait un respect par l’autorité. Après ce combat, rien ne pouvait le surpasser, aucun membre du clan, ni même des clans voisins n’oseraient l’affronter, et plus jamais il ne pensait connaître la peur. C’était cette grande confiance qui le faisait avancer aussi vite, il était très sûr de lui.
Au fur et mesure que Marsy et ses compagnons marchaient, la glace semblait s’affiner, ils venaient de passer le plus facile, et ils entraient alors dans un endroit appelé le Jättarnis. Alors que les craquements de la glace se faisaient de plus en plus fréquents, quelques craquelures se firent sous les pieds des membres du clan. Prenant peur, chacun pressa le pas, entendant de plus en plus de craquements et de fissures. L’océan gelé était en train de se disloquer sous leurs pieds, de s’ouvrir et de se morceler en d'infini morceaux. Et soudainement, alors que le brume de mer se dissipait et qu’ils fuyaient, sautant entre les morceaux de glace, une montagne fit son apparition, mais une montagne de glace. Au beau milieu de l’océan gelé, sans visibilité d’une terre proche, s’élevait devant les hommes, un pic de glace, semblable aux pics rocheux qui transperce le ciel, ceux que les fous s’amusent à escalader, lesquels deviennent les gîtes des exilés et des bannis. Mais, face à cette lance qui venait embrocher la voûte céleste, le chef clan Njör, l’imperturbable Marsy, ne perdit pas son sang froid, et sachant que c’était le seul moyen d’éviter de perdre ses hommes et ses bêtes à cause de la glace qui se morcelait, alors il s’accrocha à la paroi, et glissant sur la surface lisse qui se présentait à lui, il redoubla d’efforts, et fini par s’y agripper pour, pas après pas, accroche après accroche, gravir ce mont qui lui faisait face. Ces hommes le suivirent tant bien que mal, portant sur eux leurs bêtes, tirant leurs chevaux sur les pentes abruptes. Mais certaines montures et vieilles personnes n’avaient pas la force pour suivre leurs congénères. Et comme tant d’autres avant eux, ils furent laissés là, à attendre que la mort vienne les prendre et les délivrer de la peur, de la solitude et de leur grande tristesse de se trouver séparé des autres.
Parfois la glace se décrochait sous les mains de Marsy et de ses compagnons, parfois c’était eux qui manquaient un rebords ou deux, mais aucun ne tomba, et après quelques dizaines de minutes à avancer, alternant entre de la montée et de l’escalade, le clan arriva sur un plateau. Tous s'arrêtèrent alors, afin de voir qui était encore là. Apparemment il ne manquait que quelques bêtes à l’appel, rien de très grave, elles seront de toute façon remplacées par des chiots et poulains bien plus robustes, qui auraient appris de ce calvaire. Cependant, ce qui devenait plus inquiétant pour le clan, c’étaient les vivres. Ils n'étaient qu’au début de leur traversée, et le clan n’avait déjà presque plus un quignon de pain. Malgré cela, chacun fut rassasié, hommes comme bêtes. Il était important pour Marsy, que le moral soit haut, afin de pouvoir grimper ce qui restait de ce pic gelé. Et, d’après ce qu’il pouvait voir entre les volutes de brumes et les nuages, le chemin allait se corser, la route qu’ils allaient prendre semblait de plus en plus abrupte, et la glace de plus en plus tranchante et fine. Mais, Marsy ne se posait pas de question sur la suite, il savait que ce mont serait franchi dans les quelques jours, quel qu'en soit le prix. Et, alors que tout le monde finissait à peine d’engloutir son pain sec, Marsy se leva et reprit la marche, tous suivirent alors son exemple, tirant les animaux et rangeant les quelques affaires qu’ils avaient déballées. Même si les morceaux de glace auquel s'accrochaient chacun semblait plus fin, ils semblaient aussi  plus solides, et plus froids. Les mains collaient sur la parois gelée, ralentissant ainsi les mouvements des uns et des autres. Très vite, on entendit le souffle haletant de chacun, et les chiens tiraient la langue, suivant de près leurs maîtres, tous subissaient les affres de la fatigue et de l’épuisement, ce calvaire qui alourdissait les jambes et brûlait les articulations des membres du clan. Et il fallut peu de temps pour que quelqu’un s’approche doucement de Marsy, afin de lui demander une autre pause. C’était le jeune Eucaryote, le plus petit et mince des hommes du clan, d’ailleurs il se faisait souvent moqué, rabaissé et humilié à cause de cela. Il n’y avait pas un jour sans que quelqu’un le ridiculise et l’embête en le prenant sous son bras pour l’étrangler et lui ébouriffer les cheveux. Malgré cela, il savait se rendre utile, et pourtant, lui qui était si chétif, était sans doute le plus courageux de tous, car, quand il y avait un problème, c’était toujours lui qui était envoyé pour aller en parler à Marsy. Il ne redoutait pas sa colère, tout du moins, il savait comment l’amoindrir et la calmer, ce qui jouait aussi beaucoup en sa faveur. Quant il rapporta la mauvaise nouvelle, tout en continuant d’avancer, à son chef, celui-ci changea brusquement de mine, ses sourcils se fronçant, ses yeux se noircissant, et sa mâchoire se serrant fortement, comme si il broyait sa langue à l’intérieur. Mais, heureusement pour lui, Eucaryote avait déjà prévu une solution. Eucaryote n’aimait pas beaucoup s’occuper du bétail et des chiens, lui il préférait gambader dans la nature, certes il pouvait le faire en promenant quelques toutous, mais il préférait être libre de ces mouvements, pour pouvoir grimper partout, se faufiler dans les moindres recoins et dans les trous de lapin et de renard, pour aller cueillir, trouver, dénicher des plantes, des trouvailles et des trésors en tout en genre. Et en ce jour, cette activité pourtant si décriée par Marsy, allait lui servir. Car sa solution se trouvait justement en haut des arbres et au fond des terriers, il lui restait au fond de sa besace quelques feuilles, champignons et herbes, assez de quoi préparer une mixture dont il avait le secret. Et c’est donc après quelques coups de burin, quelques mélanges et quelques coups de cuillère, que le potage fut terminé et distribué à chacun. Les effets furent immédiats, le fluide miraculeux parcourant les veines de chacun, tous sentirent une nouvelle énergie les emplire. Et tout de suite leurs pas furent plus rapides, la fatigue qui marquait leur visage disparu. Tous avait retrouvé la motivation et l’entrain, alors, le clan se mit à avaler les mètres par dizaines, par centaines, escaladant à tout va, grimpant à toute vitesse, prenant même parfois les animaux sur leurs bras et courant tel des fous en cavale vers l’horizon. En moins de temps qu’il ne faut pour dire fuß, Marsy et Eucaryote virent le sommet de glace, et le franchir. La deuxième partie fut plus facile et nettement plus amusante, la glace formant une longue descente, chacun des membres du clan se mit à dévaler la pente en courant et en glissant, encore sous l’effet de la potion d’Eucaryote. Mais une fois arrivé en bas, certains commencèrent à se figer, regardant fixement leur reflet dans la glace, une moue effrayé, leur visage était de plus en plus pâle, comme si il se décomposait mentalement face à la vision de leur image à travers ce miroir d’eau gelé. Ce qu’ils voyaient en plongeant leur yeux dans ce verre blanc, c’était une illusion, pas leur reflet, mais une représentation de leur âme, de leur esprit, de leur énérgie. Le stimulant qu’ils avaient pris révélait enfin sa vraie nature de psychotrope, les rendant peu à peu fous, leur montrant toutes leurs faiblesses et toutes leurs cruautés. Ils semblaient apercevoir à travers leurs âmes seulement les mauvais côtés de leurs vies. Marsy, lui, était tout aussi perdu, mais, son regard était plongé dans le ciel, il y voyait des visages qui lui parlaient, il y avait une petite vieille au teint halé, qui brandissait un bâton en hurlant des mots incompréhensibles, comme des incantations. L’autre visage était celui d’un homme mature, ayant sans doute vécu plusieurs dizaines de cycles, il était parsemé de grains noirs, parfois marrons, certains dissimulés derrière une barbe hirsute descendant sur son torse velu. Lui aussi s’exprima, mais avec un langage beaucoup plus facile à comprendre. Mais il ne semblait pas parler à Marsy, il semblait s’adresser à une autre personne, selon les marques de respect qu’il utilisait, on pouvait aisément deviner qu’il avait son fils en face de lui, mais un fils qui n’a pas encore atteint sa maturité. L’homme se disputait apparemment, il voulait emprunter un chemin et il le répétait avec insistance, mais sans doute que son fils ne voulait pas le suivre. Et soudainement, la vieille et le barbu se taisèrent, interrompu par un bruit sourd, on aurait dit un pas de géant qui venait de frapper le sol, faisant raisonner la crainte à travers les veines et les racines de la terre et de la forêt. Mais Marsy n’en vit pas plus, la vision s’estompa parmi les nuages, se confondant avec. Il tourna alors la tête, observant ses hommes, les voyant eux aussi revenir petit à petit à eux, Marsy se disait qu’ils devaient avoir vu des choses aussi étranges que lui. Alors, plein de colère, il marcha droit vers Eucaryote qui titubait, tenant sa tête de sa main droite. Il marmonnait entre ses dents. Quand Eucaryote vit Marsy, il commença à trembler, il n'était clairement pas en état pour retourner la situation à son avantage, alors, comme il le prévoyait, Marsy leva haut son bras et, descendant de haut en bas, il vint aplatir sa main sur la face d’Eucaryote, englobant son visage, marquant ses joues de son empreintes, tel un veau que l’on marque au fer rouge. Le bruit résonnait, Eucaryote s'effondra d’un seul tenant, tombant sur le sol gelé de la mer, le visage en sang, le nez fracturé, crachant à tout va un flot de globules rouges. Marsy était loin d’être rassasié, les veines de son front palpitait à toute vitesse, son visage rouge écarlate tremblait, regardant avec dédain son nouveau sous-fifre, Marsy donna quelques coup de plus à Eucaryote, utilisant autant ses poings que ses jambes. Une fois sa rage passée, Marsy aida Eucaryote à se relever, tout en le réprimant, lui disant qu’ils auraient dû anticiper les effets négatifs de son breuvage, que la folie aurait pu tous les prendre et les conduire à la mort. Eucaryote ne savait quoi dire, sa pensée était encore toute embrumée, c’est comme si tout résonnait dans son crâne, sans même qu’il comprenne quelque chose, et les coups qu’il avait reçu n’arrangeait son cas. Mais malgré tout ce charivari, le clan Njör reprit son chemin, Marsy menant hommes et animaux vers l’horizon lointain, parsemé de nuage. Et il avait beau plonger loin devant lui son regard perçant, il n’apercevait rien, pas un seul bout de terre, seulement de la glace, une grande patinoire qui semblait recouvrir l'entièreté du monde. Et malheureusement pour Marsy et ses hommes, leur réserve de nourriture était à sec, tous allaient devoir continuer le chemin, le ventre vide, la gorge sèche, et le moral dans les chaussettes. Finalement, le temps qu’ils avaient gagné en traversant le pic de glace à toute vitesse, ils allaient le perdre en se traînant sur cet océan gelé qui n’en finit pas. Et quand tous se retournaient, ils voyaient avec décontenance, le mont qu’ils avaient gravit, se défaire, tombant en ruine, dégelant avec l’arrivée des vents chaud de Zaachar, même là, après tant de kilomètres de glace, après une barrière gelé qui semblait infranchissable, même là, l’été ne leur laissait pas de répit. Et tous pensaient alors que c'était la fin pour eux.

De l'Aube au CrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant