Une Cuivrée

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Les paupières d'Epikrates se soulevèrent doucement, il essayait de dévisager les gens qui s'accaparaient autour de lui, mais les visage étaient tous flou, une bouillis indigeste pour ses petits yeux bleus azur. Alors, il se les frotta longuement, comme pour nettoyer le verre de ses iris. Une fois qu'elles furent bien briquées, que le reflet scintillant des stalactites et des stalacmites apparaissaient doucement sur ses pupilles, ancrant l'image dans sa cornée, l'envoyant vers son cerveau. Et à côté de ces pieux traversant le sol de pars en pars, il vit ses hommes, qui attendaient patiemment, assis sur de la roche noire, basaltique. A sa droite, se penchant sur lui, il reconnut la douce face de sa fille Damaris, ses mèches blondes venaient lui chatouiller le nez et le cou, elle l'embrassa plusieurs fois, recouvrant son visage de bave et d'amour. Epikrates était content, il savait les siens avec lui. Quand il fut entièrement relevé, il vit qu'il était dans une grotte, entouré de ses enfants, de quelques hommes, et au loin devant l'entrée, il apercevait l'ombre de Vöspa, l'immortelle doyenne. Elle se retourna et marcha vers lui, ses joues étaient couvertes d'une terre rougeâtre, son front d'un pigment ocre. Encore une façon pour elle de communiquer avec les esprits des mondes occultes, entre la mort et la vie. Elle lui parlait, mais semblait avoir oublié la langue des Kvasir, sa parole n'avait rien d'intelligible, et pourtant, derrière ce charabia, on sentait bien une volonté de communiquer. Alors Epikrates lui répondit en geste, espérant qu'elle n'est pas non plus oublié l'enseignement sacré, la façon dont leurs dieux, quand ils se présentent, sous diverses formes, à eux, communiquent, les mains dansant une valse d'émotions et de sens. Elle comprit, mais se résigna à parler davantage. Se fut au tour d'Aristée d'arrivée dans le champ de vision de son père. Il avait oublié de se raser, ou alors, il était enfin adulte. Epikrates lui demanda des explications, il sut alors qu'il venait de dormir pendant deux jours, une longue période durant laquelle, son fils avaient pris les rênes de la maigre troupe qui restait, trouvant ainsi cette grotte qui avait été miraculeusement épargnée par les vents de Zaachar. Malheureusement, le reste des hommes du clan restait introuvable, et le temps pressait, le clan devait absolument rejoindre l'Ouest s'il voulait perdurer. Certes il y avait de l'eau potable et quelques champignons dans la grotte, mais cela ne suffisait pas pour tenir indéfiniment. Ils allaient devoir sortir à nouveau, et à peine ils furent proches de l'entrée de la grotte, qu'une chaude brise leur fouetta le visage, faisant couler des gouttes de sueurs entre les rides de leurs fronts et les sillons de leurs cheveux. Mais malgré la chaleur étouffante qui emplissait l'atmosphère, tous se précipitèrent dehors après avoir levé le camp. Marchant sur la terre sèche et poussiéreuse, en plein cagnard, la peau rougissant à vue d'œil, chacun souffrait le martyr, mais aucun n'abandonna. Et après quelques heures de marche, alors que le soleil tendait à se coucher, Aristée vit au loin, des ruines de ce qui semblait être un village de hutte en terre et en paille. Quand il arriva avec les autres membres du clan à proximité des décombres, il sentit une forte odeur de cramé, ce camp avait été abandonné à cause d'un incendie, sans aucun doute provoquer par les fortes températures, qui, même alors que la nuit présentait le bout de son nez, ne faiblissait point, c'était même pire, le vent s'était couché, et l'air était devenu lourd, pesante, et chacun se sentait écrasé. Il n'y avait aucune trace d'humidité, ni dans l'air, ni sur les murs de terre et les lambeaux encore chauds de la paille. Et pourtant, dans cet inconfort, sur le sol dur et salissant, devenu noir, et par le feu du désespoir, tous se couchèrent, attendant tranquillement le lendemain, où plutot le redoutant. Mais certains ne dormaient pas, c'était trop dur, ils avaient trop perdu, trop de peur, et pas assez de dû.

Le lendemain matin, alors qu'il faisait encore nuit, Epikrates se réveilla, suant à grosse goutte, tremblant, le teint pâle, les yeux rougis. Il avait cauchemardé toute la nuit. Rêvant qu'il marchait indéfiniment sur une mer de glace, parsemée de cadavres. Pourtant quand il jetait des regards autour de lui, tout ce qu'il voyait n'était que poussière et désolation, pas une trace d'eau, de neige, de glace, ni même de quoique ce soit de blanc. Mais, Epikrates ne souhaitait pas se morfondre plus et laisser apercevoir sa peur par les autres, alors, il réveilla tout le monde en hâte et pressa le départ, invoquant qu'il fallait mieux partir de nuit pour éviter le soleil. Argument caduque car il faisait déjà chaud comme en pleine journée et que le sol brûlait ses pieds. Mais la troupe se mit quand même en place et partit d'un bon pied, se dirigeant toujours vers l'Ouest. Malheureusement, la chaleur se faisait de plus en plus intense. Le soleil cloquait leur peau, sans interruption. Après quelques heures de marche, Epikrates vu sa fille boire la dernière goutte d'eau, à partir de maintenant, tout le monde serait astreint à un régime drastique. Certains suçaient les quelques brindilles et feuilles qu'ils pouvaient trouver de ci et là, essayant de substanter tant bien que mal leur ventre qui criait. La faim finit par leur donner des hallucinations, le sol se transformait en eau, le ciel devenait rouge sang, et le soleil grossissait indéfiniment tout en éblouissant et en aveuglant ce qui osait le défier du regard ne serait-ce qu'une petite seconde. Et soudainement, un bruit assourdissant se fit entendre, venant du ciel, tous regardèrent au-dessus d'eux, une boule de feu gigantesque était en train de fendre le ciel, lâchant dans son sillon, des millions d'étincelles. Il pleuvait sur le clan Kvasir, du feu, des petites flammèches. Et dans un étrange mouvement, les flammèches se mirent à tourbillonner autour d'un rocher, sur celui-ci, des gravures apparurent. Le dessin d'un trou, un large renfoncement dans la terre, circulaire, avec en son sein, une créature, quelque chose d'humanoïde. Et puis la boule de feu s'éloigna de plus en plus, fonçant vers l'horizon, descendant en altitude, pour enfin, à la limite de la vision, percuter le sol, et disparaître dans un grand fracas, du champ de vision d'Epikrates et de ses congénères. Alors, tous oublièrent la terrible condition qui pesait sur leur corps, les affaiblissant auparavant, et se précipitant vers le lieux où s'était écrasé la mystérieuse chose, ils prirent leurs deux jambes, et traversèrent les kilomètres les séparant de la boule de feu sans même se rendre compte qu'ils avaient lever le pied pour marcher. Un cratère se présentait à eux, il était aussi grand qu'une montagne, profond tel un canyon, ils le descendirent donc, tous animé par une grande curiosité. Que pouvait-il y avoir de si mystérieux? Qu'est ce qui avait pu causer de telles tranchées dans le sol ? Tant de questions auxquels les Kvasir souhaitaient répondre, et ils eurent leur réponse, en voyant, comme sur le dessin de la pierre, une créature humanoïde se lever, pour leur apparaître debout sur de longues jambes, très fine et poilu, se terminant en sabot, parsemée de tâches blanches et rousses, tel un faon, une bichette. Cependant, à partir de ses hanches, les poils se faisaient plus rare, laissant place à une douce peau rosée et blanche, de la neige parsemé de fleur, de viornes d'hiver, plein de pollen, de tâche de rousseur, tel un oranger, avec ses fruits et ses fleurs, un oranger qui semblait ne jamais se finir, tellement le corps de cette créature, du creux de ses jambes, à sa fine taille, aux poires que formaient ses seins sur son buste fin, couronnées par les arêtes subtiles de ses os, ses côtes, ses clavicules qui tiraient de longs bras élancés, tirant eux même des mains effilées, aux ongles élimés. Et, pour enjoliver le tout, entre des cheveux d'or et de cuivre, des mèches divines, un visage se dessinait, des yeux verdoyants, pleins de chaleur, de rouille et de feuilles. Une face perlée de points orange, qui formaient une vague, prenant en son centre, un nez d'aiguille, pointant tel un fleuret d'escrime, surmontant des lèvres pulpeuses, formant deux petits coins, et descendant en se courbant. Son visage présentait maints et maints angles, saillant ainsi les pommettes hautes, le menton naissant, et la mâchoire affirmée. Une mâchoire qui s'ouvrit, se ferma, se rouvrit, pour former une suite de mots. La divine chose donna son nom, Danaé, un être mirifique, une fée des vents. Son apparition avait raffermit le coeur de nos guerriers, la sueur avait disparue de leur fronts, ils en étaient sûrs, ils étaient sauvés, les esprit leur avaient envoyé, un être divin, une déesse semblable aux histoires que contait Vöspa lors des grandes unités, où le feu montrait par intermittences, des corps aussi fin et élancées, aussi voluptueux et enchanteur que celui de Danaé. Sans un mot, elle leva ses bras, un vent frais secoua alors la poussière qui l'entourait, l'enrobant d'un voile sableux, elle s'éleva en l'air de quelques centimètres et prononça quelques mots, dans un chuchotement presque imperceptible, et pourtant, chacun l'entendirent distinctement résonner en eux, au sein de leur poitrine, gonflant leurs poumons, remplissent leurs estomacs, humidifiant leurs gorges, reposant leurs muscles, et les contractant à nouveau. Le clan Kvasir fut rempli d'une énergie nouvelle, et ensemble, en même temps que Danaé, ils entamèrent, d'une même voix, un chant grave, qui faisait trembler les montagnes. Chacun de leurs pas semblait couvrir la distance qui sépare Borée de sa lune. Et c'était parce qu'aucun d'eux ne marchaient, en fait, grâce aux pouvoirs de Danaé, ils étaient tous en train de léviter, de voler, de planer vers l'Ouest. En dessous de leurs pieds, les paysages défilaient, parfois ils apercevaient des troupeaux d'animaux, d'autres clans, des constructions, des ruines, ruis, des ruisseaux et des rivières. 

De l'Aube au CrépusculeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant