Partie 2 - La fleur.

29 7 0
                                    

Il sursauta quand il eut l'impression d'entendre la lourde porte d'entrée du château s'ouvrir une semaine plus tard. Il était allongé sur le ventre, la tête posée sur ses bras croisés, en train d'observer une marguerite qui venait de pousser dans son jardin. Il pouvait aller dans ce dernier, mais n'avait pas le droit de s'y éterniser, son cœur lui faisant quasi aussitôt mal à en mourir. Il resta à écouter les bruits de craquement de l'escalier qui montait à l'étage où il était et il frissonna en se disant que ça y est, ça recommençait, d'autres enfants du village s'étaient donné pour défi de venir le déranger. La porte de la pièce où il était s'ouvrit soudain à la volée et il sursauta violemment, effrayé.

« Bordel, mais Ablaye, fais gaffe ! Tu vas effrayer notre petit fantôme. N'est-ce pas, Claude ? »

Il se redressa sur ses genoux en reconnaissant la voix du garçon de l'autre fois – Gringe, s'il se souvenait bien – et il écarquilla les yeux en voyant trois autres garçons à ses côtés. Un blond, un dont la couleur de peau il n'avait jamais vu auparavant, et son ami de la dernière fois. Claude. Ils semblaient tous très chargés et il fronça les sourcils en essayant de deviner ce que pouvaient être toutes ces choses qu'ils portaient chacun dans leurs bras.

« Bah alors, ma biche ? Je croyais que t'y croyais pas aux fantômes ? s'esclaffa Claude qu'il avait un peu du mal à reconnaître maintenant qu'il avait attaché ses cheveux longs en chignon alors que la dernière fois qu'il était venu, il les avait mis en queue de cheval.

— Bon, on s'en fout, s'exclama le garçon à la peau sombre en levant les yeux au ciel. C'est dans cette pièce que vous voulez dormir ? On les met où les matelas ? »

Le garçon blond répondit à ce dernier, mais il n'écouta pas ce qu'il lui disait car son regard fut attiré par Gringe. Celui-ci regardait dans sa direction, même s'il savait qu'il ne le regardait pas lui réellement, et il fit un pas en arrière, effrayé.

« Qu'est-ce que tu regardes comme ça, Gringe ? lui demanda le garçon blond et il se tourna vers ce dernier, les larmes aux yeux.

— Mm... Cette fleur, là. Comment elle est arrivée dans cette pièce ? »

Il tressaillit en se rappelant de sa fleur et fit un autre pas en arrière, apeuré. Le garçon blond s'approcha de lui et il sentit son cœur s'emballer dans sa poitrine en le voyant se diriger vers lui, mais celui-ci ne parut pas le voir et se baissa simplement pour prendre la fleur par terre.

« Une marguerite ? C'est pas la saison pourtant, non ?

— J'sais pas, elle a peut-être poussé un peu trop tôt cette année. Tu sais que les saisons sont détraquées quand on se rapproche du château.

— Ouais, comme si quelque chose ou quelqu'un agissait sur le climat ici, hein, Gringe ? dit Claude en interpelant l'autre garçon. Quelqu'un comme un fantôme. Ou quelque chose comme une malédiction. Hein ?

— Oh, ta gueule un peu. Matthieu, viens, on va installer les matelas pour la nuit. »

Le garçon blond hocha la tête et il comprit donc que c'était lui Matthieu. Et l'autre alors... Ablaye. Il le regarda revenir vers ses amis avec sa fleur dans la main et il ouvrit la bouche pour l'en empêcher avant de se rappeler qu'il ne devait pas s'adresser à eux. Et s'ils l'entendaient ? Il refusait de leur parler. Alors, il referma la bouche et se rassit par terre, en tailleur, pour les observer faire leur coin pour la nuit dans sa pièce. Dans sa maison. Il vit Gringe jeter un coup d'œil hésitant dans sa direction et il sentit son cœur rater un battement de peur qu'il ne puisse le voir. Mais non, encore une fois, le garçon sembla chercher quelque chose du regard sans jamais le trouver. Alors il fut soulagé et continua de les observer en silence. Demain, ils seraient partis.

***

Apparemment, selon la légende, ce fantôme serait celui d'un garçon de douze ans. Il aurait été tué par des brigands un jour où le château a été assiégé. Ils ont tué son père, sa mère, ses sœurs et lui en dernier comme il était supposé être l'héritier du seigneur de ces terres. Mais ensuite, on ne sait pas bien pourquoi, les brigands ont commencé à déserter le château et celui-ci n'a plus jamais trouvé de propriétaires. Il a été plusieurs fois question de le détruire, mais comme il fait partie intégrante du paysage désormais, les villageois s'y sont opposés et voilà pourquoi il est toujours intacte. Et la légende avec.

Il était en train de sangloter en se rappelant l'histoire qu'avait raconté Claude à ses amis avant de s'endormir. Ce n'était pas... tout à fait vrai. Même si les grandes lignes y étaient. Cela faisait tellement de temps qu'il était mort que parfois, ses souvenirs s'estompaient quant à cette fameuse nuit où il avait trouvé la mort, mais dès que des enfants venaient au château, il y en avait toujours un pour raconter à ses amis la légende liée à l'histoire de ce dernier. Des fois, l'histoire était enjolivée, des fois elle paraissait plus horrible encore. Mais toujours elle lui rappelait la véritable version des faits. Et ce n'était pas tout à fait ça. Il savait que c'était de sa faute, d'où sa punition de rester à vie enfermé dans ce château. Il sursauta en entendant la porte de la pièce dans laquelle il se trouvait s'ouvrir et il vit apparaître le garçon brun devant lui. Gringe. Est-ce qu'il l'avait entendu pleurer ? Après tout, il s'était seulement mis dans la pièce à côté. Mais ils étaient censés dormir depuis longtemps déjà...

« Je sais... que tu existes, l'entendit-il alors dire en fixant un point devant lui et il sursauta en comprenant qu'il s'adressait à lui. Je sais que j'ai dit que je ne croyais pas en toi devant Claude et les autres... mais j'ai réfléchi, et maintenant je les crois. Je t'entends, tu sais. Tes battements de cœur. Ta respiration. Tes pleurs. T'es pas aussi discret que tu sembles le penser. Et puis... je peux aussi sentir ton parfum. Tu... sens vraiment bon. Qu'est-ce que c'est ? Du citron ? De la vanille ? J'ai un peu du mal à reconnaître. Enfin bref, je voulais que tu saches que je sais que tu existes. Je ne peux pas te voir, mais t'entendre et te sentir oui. Et je suis vraiment désolé pour ce qu'il t'est arrivé. Si Claude a dit vrai. Si les rumeurs qui courent à ton sujet sont vraies. La légende, ton histoire... J'aimerai bien... devenir ton ami si tu veux bien. Je t'ai ramené ta fleur, tiens. »

Il écarquilla les yeux en voyant Gringe ouvrir la paume de sa main et en y apercevant la marguerite. Celui-ci se baissa pour déposer celle-ci au sol à ses pieds et quand il le vit tourner les talons, pour retourner se coucher sûrement, il eut un geste inattendu. Il chercha à le retenir. Gringe haussa les sourcils en le sentant poser sa main sur son bras et il recula cette dernière aussitôt, étonné qu'elle ne l'ait pas traversé comme il le faisait avec les meubles du château. Habituellement, il fallait qu'il le veuille réellement et rassemble toute sa volonté pour pouvoir toucher quelque chose. Comme sa marguerite. Alors est-ce qu'il devait en déduire qu'il le voulait vraiment sans s'en rendre compte ? Le garçon fronça légèrement les sourcils avant de poser sa main à l'endroit où il l'avait touché, puis il le vit sourire d'un air hésitant.

« Oui... T'existes bel et bien. J'avais tort de pas croire Claude. Mais maintenant, je sais que c'est vrai. Ne t'inquiète pas, ton secret est bien caché avec moi. »

Le garçon sourit une dernière fois dans le vide, ne sachant pas où il se trouvait, puis partit pour de bon, refermant la porte derrière lui. Il resta immobile, le cœur battant la chamade et les yeux écarquillés. Pourquoi... avait-il voulu se montrer à ce garçon ? Lui prouver qu'il avait raison de croire qu'il existait ? Et qu'est-ce... qui allait se passer à présent ? Il avait bien dit qu'il voulait être son ami, non ? Qu'est-ce qu'il entendait par là ? Le futur le lui dirait.

Mini Fiction OrelxGringe - Le château hanté.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant