« La nuit risque de nous surprendre encore avec ce temps, monseigneur, maugréa Beleryn en observant l'ombre dans sa conquête des lieux. Et toutes les nuits ne sont pas les mêmes dans ces bois, certaines peuvent être bien pires que d'autres. Nous devrions rebrousser chemin, suggéra-t-il également, et peut-être que nous atteindrons Gazan avant que celle-ci ne tombe. Ces gens ne vont pas apparaître à force de les chercher de toute façon.
— En effet, cela fait des jours qu'on les cherche, des jours qu'on suit les pisteurs dans ces brouillards, et jusque-là on n'en a retrouvé aucun, répondit sereinement lord Eron Tower, l'allure expérimenté sur son beau cheval blanc qui, pas après pas, explorait le terrain tapissé de neige. Mais on ne peut pas rentrer ainsi, sans rien, sans aucune preuve de ce qui leur serait arrivé réellement. Si c'est véritablement l'œuvre de Rôdeurs comme certains l'affirment. La panique est déjà à son comble. Veux-tu toujours qu'on abandonne, moncher Dawson? » lui demanda-t-il ensuite d'un air narquois.
Beleryn répondit prudemment :
«Non, monseigneur». Il faut dire qu'à ce moment, le jeune écuyer d'un seigneur qu'il était naguère entendait pour la première fois son cœur battre aussi fort dans sa poitrine – si fort qu'il attirerait ou ferait fuir les oreilles les plus sensibles à la ronde – tellement il avait peur. Ses yeux surveillaient constamment les alentours, mais ils ne voyaient que ces arbres immenses qui se dressaient vers les cieux et cette obscurité grandissante.
— Alors on continue de les chercher, prononça maintenant lord Tower avec une légère fermeté. Et discernant facilement la peur dans le regard instable de Beleryn, il crut bon d'intervenir : « La peur est une ennemie des plus sombres qui existe dans ce monde, moncher Dawson, l'expliqua-t-il avec lenteur et sévérité. Elle a des yeux aussi noirs que l'intérieur d'une caverne de trolls, lesquels vous regardent et vous privent ainsi de votre force, votre agilité, tous vos talents et tous vos sens. Et elle a une voix ensorcelante qui vous entraîne, très souvent, doucement dans le gouffre de l'incertitude, dans l'illusion la plus vraisemblable. Le seul moyen de la combattre c'est de continuer d'avoir la volonté de faire ce qu'on doit faire et quand on doit le faire. Peu importe ce qui se présente devant vous. »
Ils se fondirent ensuite dans le silence qui s'était installé discrètement dans la forêt. Cette dernière, que beaucoup surnommaient justement la forêt imprévisible, donna l'impression que tout était devenu très calme – trop calme même. On entendait plus les eaux parcourant la forêt, le passage fracassant des bourrasques de vent, le hurlements des loups et le vacarme des autres créatures de la forêt... rien, absolument rien ne semblait vouloir perturber ce silence aberrant et glaçant qui dominait les lieux.
Et bien que difficilement exécuté, Beleryn retint également ses lèvres et avança. Malgré le manque de clarté, on pourrait lire clairement sur son visage l'ampleur de ce récent événement. Son regard continuait de sillonner partout et, maintenant, à toute allure ; il était à l'affût de la moindre chose qui bougeait ou émettait un bruit.
Puis discrètement, les premières lueurs du crépuscule apparurent dans le ciel sombre. Le silence qui régnait s'estompa peu à peu comme de la fumée dans l'air calme. Une bourrasque plus forte que toutes les précédentes survint du nord et fit comprendre à Beleryn que non seulement le vacarme reprenait ses droits, mais aussi que le froid était maintenant beaucoup plus aiguisé et, d'emblée, il entretint plus chaudement son épais manteau noir. Puis ses lèvres grelottantes se relâchèrent finalement quand il entendit des hurlements fracassants s'élever de la forêt :
« Le froid devient de plus en plus perçant, bientôt nos manteaux ne nous serviront plus à rien. Et d'après ces hurlements, les animaux s'éloignent le plus que possible du cœur de la forêt. Là où nous nous rendons apparemment. Les entendez-vous, monseigneur?
Eron fit mine de rien entendre. Et Beleryn continua :
« On dit que certains d'entre-eux sont capables de voir ou d'entendre des choses que nous, humains, ne pouvons voir ou entendre. Des choses étranges, des choses dans l'Ombre, ou encore des malheurs à venir. Et quand ils voient ou entendent ces choses, ils hurlent et s'enfuient très loin.
Sans se hâter, Eron rétorqua :
— On dit également qu'ils hurlent pour se localiser entre-eux ou pour coordonner leur attaque. Ce qui est le plus probable vu que certains, comme les loups, aiment chasser aux heures crépusculaires. Nul besoin d'envisager le pire, moncher Dawson!
Beleryn parut un peu agacé. Il reconnut immédiatement ce regard sérieux et, pourtant, ce ton moqueur de lord Tower. Certainement, il souhaitait toujours quitter ces bois sombres, suivre les bourrasques qui allaient elles-mêmes dans le sens inverse, transportant sensiblement des cris aigus et d'horreur provenant du fin fond du nord, là où il n'y avait pourtant plus aucune vie d'après les Anciens, seulement le froid, la glace, les Avalons et les ténèbres. Mais se hissa rapidement sur son visage nu, blêmi par la peur et le froid, un air résigné qui dissimula son léger soupçon d'agacement. Étant un jeune écuyer, il était chargé, entre autres, d'accompagner son seigneur partout où son devoir ou également ses envies le menait à s'aventurer. Qu'importe si c'était dans la gueule du loup ou dans un bordel pour ses besognes, il devait le suivre. Il savait également quel était le sort réservé aux insubordonnés et, pire encore, aux déserteurs quand on est au service d'un seigneur. Il était alors préférable d'enterrer tout ressentiment à sa source.
Comment pouvait-il être si calme et si téméraire? se demandait Beleryn au bout de sept jours à suivre la soi-disant trace de ces gens à travers ces régions presqu'entièrement abandonnées et, finalement, ces bois étranges.
Toujours enveloppé dans son manteau de fourrure noir, descendant jusqu'à ses chevilles, ganté et botté de cuir noir. Il résistait solidement aux vents, même les plus glacials, et aux sinistres chants des ténèbres de la nuit.
Grand frère adoptif du roi Edmon Tower, roi de Nordhen, le royaume souverain du Nord, lord Eron Tower était un albinos ; il ne paraissait ni trop jeune, ni trop vieux, mais sa longue crinière, ses sourcils et sa barbe étaient aussi blancs que cette neige qui nous faisait avancer en tâtonnant. Et ses yeux étaient d'un bleu vif qui lui donnait un regard glacial et pénétrant. Presqu'un an depuis qu'il est arrivé ici, dans la principauté de Mergraed, comme un émissaire royal important auprès de la reine régente, Katheryn Erfel, et les gens n'ont toujours pas cessé de le regarder avec mépris et colère. Outre qu'il était un Tower, un Nordhenien, les albinos sont tous des fils de démon disent-ils. Peut-être qu'il était bien un fils de démon et que les ténèbres le reconnaissaient, avait-il conclu finalement.
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Le Vrai Combat : Le Réveil
خيال (فانتازيا)Des disparitions surviennent à Mergraed, la cité la plus au nord du Continent, causant la panique au sein de la population et aux environs. Mais, au vu du temps qui s'assombrit de plus en plus, les Zones d'Ombre qui s'étendent considérablement et au...