3 - cyprès

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Nuit des étoiles filantes -
Moi aussi, sur Terre,
Je ne suis que de passage.
— Stéphen Moysan

  Livaï parcourt les couloirs illuminés par la lune gelée. Ses pieds fatigués montent les marches aphones des escaliers oubliés. Il referme la porte derrière lui, puis plonge dans l'océan de noir, aux seules vagues encore capables de mouiller son pinceau endurci.

  Pour d'autres, le noir est terrifiant. Pour d'autres, la nuit est menaçante. Elle leur vole leurs palettes ensoleillées, les noie d'une pâleur étrangère. Elle les rend ternes de toute teinte chaude, ne leur laisse que le froid d'un noir inconnu. Pour lui, le noir est familier. Pour lui, la nuit est salvatrice. Le noir est empli de couleurs qu'il ne peut atteindre. La nuit lui redonne accès à des nuances qu'il oublie le jour, qu'il enterre devant le soleil, qu'il cache devant ceux méconnus du noir.

  Pourtant, peu sont familiers de la nuit. Seuls Farlan et Isabel souriaient à la lune comme lui le fait. Oh, Hanji et Erwin avaient essayé. Ils ont certainement réussi à élucider ces sous-teintes, ces mélanges improbables peignant le tableau du soldat. Mais le fait est qu'ils restent étrangers, différents, extérieurs à la nuit. Ils appartiennent au soleil, à la vie, à l'orange vif et au jaune criant. Depuis, Livaï reste seul face à la nuit, la seule comprenant ses teintes étrangères.

  Pour Nihal, cette journée avait été fatigante. Ses paroles en deviennent décousues. Elle n'a fait qu'assister Hanji et Moblit, pourtant son corps se sent lessivé. Il hurle au repos, aux oreillers blancs, au matelas plumeux. Pourtant, les mots di caporal.e dansent sous ses tempes irisées. Ils se tournent, se retournent, cherchent et dépouillent des souvenirs enfouis. Son village lui manque, ses habitants, la chaleur des bras, les sourires et les rires. Alors ses jambes sautent sur les escaliers éclatants, impatientes de partager la même Lune illuminant sur ses maisons d'antan.

  Sa main clenche la porte accédant au toit, attendant de revigorer ses couleurs fatiguées. Le rectangle de bois découvre la voûte céleste dansant le long de l'horizon des murailles. Les lanternes du ciel décorent les arbres et les rivières. Nihal sourit, les iris coloriés d'orange et de bleu.

  Ses yeux s'agitent vers le sol trop gris, accueillant une silhouette étouffée. Elle reconnaît le caporal de sa silhouette nonchalante, les cheveux de nuit coloriés des lanternes du ciel. Les pupilles grises de tempêtes s'atténuent en une teinte plus claire qu'elle ne peut comprendre. Et le sourire de Nihal s'éternise sur l'homme obnubilé par la nuit noire.

  Son regard parcourt son expression calme aux airs de crépuscule, saupoudrée de la brume des matins calmes. Ses épaules se dérangent d'un bleu moins profond, sortant doucereusement de son lit. Et alors son visage entier embrasse la noirceur des cieux. Il l'accueille sans peur ou préjugé, étreint des tons étoilés.

  Nihal l'a déjà aperçu, le caporal. Elle le voit marchant dans les couloirs, assis sur les bancs de bois. Elle peut parfois voir l'ombre de teintes passées, lorsqu'il observe son escouade. Mais c'est une ombre peureuse, qui repart se cacher sous le ton terne de l'usure. Elle se demande parfois, si le caporal ne possède pas une once de couleurs, ou si elles se cachent au fond de lui, effrayées de disparaître à la moindre attaque. Cependant, ici, sous la voûte noire de la nuit, sous la lumière distante des étoiles, elle témoigne pour la première fois du pinceau du caporal. Et les couleurs peignant ses yeux iridescents, Nihal les grave sous ses paupières.

  Les joues esquissant un sourire troué, elle referme la porte sous ses pas. Elle veut laisser la nuit au caporal. La soldate irait simplement puiser dans les couleurs des livres blancs, dans l'encre des mots pas encore écrits. Ses doigts se hâtent de pouvoir retranscrire les nuances aperçues sous la nuit noire, alors elle saute quelques marches dans l'espoir de doubler le temps.

  Mais s'il y a bien une chose que Livaï Ackerman n'est pas, c'est inconscient de son environnement. Ses oreilles avaient perçu les pas incertains de la soldate danser avec l'ombre de la lune. Il a attendu patiemment, jusqu'à ce que sa présence s'efface, le laissant une nouvelle fois seul face à l'immensité coloriée des cieux. Il se dit que c'est pour le mieux. Il ne compte pas partager une nouvelle fois la nuit avec d'autres. Il ne veut pas montrer son tableau gelé, incertain, tremblant. Parce qu'il lui semble que la nuit est cruelle. Parce qu'elle lui prend ceux partageant sa grandeur et ses teintes. Et que lui, finit toujours seul. Seul, face à la nuit et à l'amertume de ses couleurs.

Le Journal [Livaï Ackerman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant