4 - dauphinelle

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Il y a un temps aussi
Pour la floraison
Des ronces

— Gabriel Le Gal

  Nihal frotte de toutes ses forces contre le bois opalin. Elle, comme tout autre cadet, récurent jusqu'au fond de ses combles les bâtiments du bataillon. Le caporal Livaï traîne parfois devant les portes. Ses pas en sont devenus reconnaissables. Et quelques fois, certains se mettent à prier pitié lorsqu'ils se rapprochent un peu trop de leur porte de bois.

  Contrairement à ce qu'elle pensait lorsque l'annonce est tombée, elle n'est pas exténuée de frotter encore et encore les mêmes morceaux de pierres et de bois. Non, elle est fatiguée de devoir jouer aux mères débordées. Eren libre de ses chaînes, elle voudrait presque le renvoyer dans sa cellule insalubre.

  Eren, c'est un gamin noyé de rouge. Quand Nihal pose son regard sur l'adolescent, elle ne voit que le rouge de ses jointures, celui de ses tempes, celui qui se noue dans sa gorge, qui fait exploser ses poumons. Quelques fois, elle comprend le bleu se griffant une place ici et là, par les soirs fumant de pluie. Pour elle, Eren c'est un gamin en feu. C'est un gamin brûlé de trop de bleu, de trop de vert, de trop d'orange fané. Souvent, chez les autres le feu s'éteint avec les lunes passantes. Il se tarit. Les flammes se fatiguent. La fumée s'envole. Et seule l'odeur des cendres habite l'immensité des brûlures d'antan. Seulement, chez lui, c'est un feu qui ne peut s'éteindre. C'est un feu qui nage sur le bleu, un qui défie les lunes, un qui brûle le temps.

  Ça, Nihal peut le comprendre. Elle lui donne le temps de maîtriser ses flammes lorsqu'elles brûlent les autres. Quelques fois même, elle se laisse brûler pour le prendre dans ses bras. Car en feu ou non, il reste un gamin à ses yeux. Mais cette fois-ci, elle fatigue. Il piaille. Il crie, et hurle, et jette des mots sans sens. Et Jean les répète. Il fait de même. Il piaille, il crie, il hurle, il balance des mots sans sens. Et oh, Nihal est trop fatiguée pour ces conneries. Alors, lorsqu'elle entend le claquement des pas du caporal, elle ne peut qu'esquisser un sourire fatigué.

  La porte de bois claque le mur, et elle jure avoir vu des morceaux d'arbre virevolter jusqu'au sol. Le caporal se tient sur le pas de la porte. Visage fermé, bras pliés, épaules hautes et sourcils froncés, les deux garçons de feu semble se faire arroser du blizzard soudain. Les cadets déposent les brosses inondées futilement sur le sol opalin, frappant leur sternum de poings tremblants. Nihal n'y fait pas exception, mais son poing ne tremble pas. Le caporal ne lui fait pas peur. Elle le sait exigent, intransigeant et dur. Tout comme l'avait été Keith Shadis lors de leurs trois années de formation. Mais lorsqu'ils se pensent seuls, les hommes révèlent des couleurs foudroyantes aux étoiles et au soleil. Cependant, Nihal est curieuse. Quelque peu intrusive parfois, mais ça, elle ne l'admettrait pas même à la Lune.

  Le caporal attrape les garçons flambants de ses phalanges gelées, et leur peau tremble sous le froid de sa poigne. Son bras les projette violemment contre le bois de la porte, et Nihal n'a jamais été aussi contente de l'absence de Mikasa.

« - Les deux merdeux, vous dégagez aux écuries. »

  Eren ouvre les lèvres, ne voulant que protester contre la punition qui lui semble désabusée. Mais ses yeux brûlants croisent ceux de Nihal. Elle lui implore de ne rien dire, les phalanges contre les lèvres. Alors il soupire, ne dit rien, puis se relève en saluant le caporal poliment. Elle lui sourit tendrement. Mais Livaï suit le regard de l'adolescent jusqu'à la femme partageant ses couleurs et ses nuits. Il la dévisage durant quelques secondes silencieuses, qui pourtant lui semblent bruyantes d'un tout qu'il n'arrive à comprendre. Alors, sa voix se fait sèche, car il ne veut se mouiller des couleurs d'antan.

« - L'Abalessienne, aux cuisines. »

  Ses mots sont froids, la chaleur l'effraie. Les couleurs, les autres et le jour, il y renonce. Il se contente de voir les Lunes passantes, ça lui suffit. Il ne s'attend pas à réchauffer les autres, il ne s'attend pas à être capable de peindre aux côtés d'autrui. Donc, il ne l'espère pas. Les tableaux ne lui manquent pas. C'est ce qu'il se dit, se répète, encore et encore, et encore devant la Lune et ses étoiles. Comme une promesse incertaine, jusqu'à la fin de ses Lunes. Il le sait, il le voit, il l'entend, il n'est pas stupide. Il voit la peau des autres se raidir devant ses pas, il les voit se refroidir sous ses phalanges. Il voit les sourires retomber, les yeux ridés se tendre. Donc, il ne l'espère pas.

Le Journal [Livaï Ackerman]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant