Tu m'as moi... Ce n'était que quatre mots. Quatre mots anodins... Mais il tournait dans l'esprit du brun. Encore et encore... Ils étaient là, ancrés dans son esprit... Tous les jours, toutes les nuits, quand il était seul ou quand il était accompagné, les mots tournaient... Se répétaient... Chûya s'était montré plus distant depuis qu'il les avait dit. Son regard... Était devenu encore plus gris. Le roux venait, il s'occupait de lui... Il était toujours là, toujours présent... Mais comme absent. Comme... En trop, dans cette vie, dans cet appartement des plus misérables.
Dazai... Il n'était pas un homme comprenant les émotions. Il connaissait, il les reconnaissait. Mais les connaître ? Il était comme un robot, incapable de sentir son cœur battre. Incapable de réagir en cas de tristesse ou de détresse. Alors, oui, cette tristesse chez Chûya... Elle était déconcertante. Déboussolante... Mais surtout, elle mettait face à un problème bien difficile à résoudre l'homme aux cheveux bruns. Pourquoi ? Pourquoi ces simples mots l'avaient tant éloignés de lui ? Pourquoi, ce soir-là, quand le rouquin venait à peine d'arriver, il était déjà prêt à repartir ?!
La douleur se creusait dans le torse de Dazai qui n'en pouvait plus. Sa seule bouffée d'oxygène, c'était lui. C'était la présence du rouquin à ses côtés. C'était le seul moment dans sa journée où il pouvait réellement se sentir... Se sentir... Vivre ? Oui, vivre. Vivre alors que la mort de son meilleur ami lui avait arraché l'âme et le cœur avec. Cette souffrance, en le voyant tourner le dos si vite, fut fulgurante. Ses jambes se mirent à trembler, les genoux se claquant presque entre eux et ses pieds n'eurent qu'une impulsion. Le jeune homme s'était levé d'un bond pour rejoindre cet invité, cette ancre à cette réalité douloureuse mais qui, tous les jours, prenait soin de lui enlever, petit à petit, du poids.
"Quoi ?!"
Le rouquin grognait, un faux grognement. Dazai les reconnaissait... Car il le connaissait par cœur. Car ce roux était la moitié de sa propre âme. Ils étaient des reflets différents mais en même temps, si similaires. Deux êtres opposés mais dont la compréhension dépassait la logique humaine.
Le brun le tenait au poignet, sûr, ainsi, qu'il ne puisse pas s'éloigner. Qu'il ne puisse pas s'en aller. Qu'il puisse répondre. Qu'il puisse lui expliquer... Le pourquoi de cette attitude alors que, depuis le début, il avait refusé de parler. De discuter...
"Pourquoi ?
- Ah na', merde, tu vas pas revenir avec le pourquoi j'm'occupe de toi, j'ai aut' chose à faire qu't'répondre !
- Non, pourquoi... - Dazai plongeait son regard dans le sien, le rouge traversé par une étrange buée. - Pourquoi m'évites-tu ?"
Sous ce regard, sous cette tristesse que Chûya reconnaissait bien - il voyait cette même tristesse, dans ses propres yeux, tous les matins et tous les soirs quand il s'observait dans le miroir -, il fut pris de court. Que lui prenait-il ? Dazai était au plus mal. Il avait perdu son meilleur ami... Et lui, lui, cet idiot impulsif et colérique... Il n'avait pas réfléchi. Il avait parlé... Trop parlé en lui avouant qu'il serait toujours là. Qu'il l'avait, là, lui. Oh, ce n'était qu'une phrase. Tu m'as moi, mais pour Chûya, ça signifiait plus que ça. Ça parlait de ce sentiment si profondément enfoui. De cet amour que seule Kôyô avait vu. Qu'elle avait décelé dans les agissements, dans les paroles, dans les mimiques du jeune roux...
Il aimait Dazai. Depuis longtemps. Il l'aimait autant qu'il lui faisait confiance. Il l'aimait à un point où l'avoir vu dans cet état, ça l'avait, lui-même, détruit. Lui qui avait pleuré des heures durant après avoir forcé Dazai à se laver et à se changer... Lui qui avait bien du mal à se retenir de ne pas craquer devant lui quand il voyait les cicatrices qui s'accumulaient sur ses bras...
Chûya l'aimait et pourtant, il avait creusé sous les pieds de Dazai. Il l'avait un peu plus enfoncé dans la tristesse, dans le désespoir, dans la solitude...
"Je t'évite pas."
La main se serrait autour de son poignet. Bien sûr, le brun ne le croyait pas. Car, même au trente-sixième dessous, ils étaient connectés. Ils étaient ensemble, l'un et l'autre face au monde.
"J'ai du travail.
- Je sais que tu mens."
Bien entendu, qu'il le savait. Pourquoi ne le saurait-il pas ?
"Dazai...
- Tu m'énerves, Chûya !"
Il l'énervait autant que le roux s'énervait lui-même. Pourquoi ? Pourquoi n'arrivait-il pas à exprimer ces simples sentiments ? Car il avait vu ses ravages sur Ane-San ? Elle qui avait tant de choses à donner, surtout de l'amour, mais qui a été si blessée qu'elle refusait d'en recevoir encore... Son regard se baissait à l'idée d'être rejeté. De se retrouver seul. Si Dazai savait, soit il le charrierait, soit il le repousserait... Et son cœur n'était pas préparé à cette éventualité. Car il ne s'était pas encore totalement fait à cette idée. Celle d'aimer. Lui qui n'était qu'un clone. Comment pouvait-il un être qui était des plus humains en apparence ? Était-il légitime, pour lui, la création de l'Homme, d'avoir des sentiments ? D'avoir les mains moites quand il devait parler de certains sujets à son partenaire ? De sentir son cœur se tordre d'une douleur agréable quand ils étaient proches l'un de l'autre ? D'avoir l'impression d'être sur un nuage lors des rares moments où Dazai se montrait agréable et avenant avec lui ? Avait-il ce droit ? Celui d'aimer et d'être aimé ?
"Pourquoi m'aider pour, ensuite, t'en aller comme ça ?! Pourquoi m'éviter ?!
- Car je t'aime, 'spèce de grand débile !"
Les doigts relâchèrent sous la surprise de cette déclaration. Le gris se voilait de larmes. Il voulait fuir, il voulait se terrer et se cacher. Il voulait s'en aller et ne jamais revenir. Surtout en voyant ce regard. Pourquoi le regardait-il ainsi, tel un merlan frit ? Chûya lâchait un tch ! entre ses dents et se détournait... Au fond de lui, il n'avait qu'une envie : sentir les bras de Dazai autour de lui. D'entendre un moi aussi. Des espoirs si vains puisqu'il restait là... Dans le dos du plus petit, clignant des yeux et semblant se demander ce qui se passait... Ce qui venait de se passer...
L'aimer ? Lui ? Qui pouvait l'aimer ? Qui pouvait se sentir investi d'un sentiment si puissant, allant contre la notion même d'égoïsme, tel que l'amour ? Qui pouvait, réellement, éprouver cela pour un jeune homme cherchant la mort ? Un homme qui n'avait fait que le rabaisser, que l'insulter... Ils n'étaient que rarement en accord. Quelques gentillesses, des gestes attentionnés... Mais de l'amour ? Comment pouvait-il... Et Dazai, lui, comment pouvait-il savoir s'il aimait quelqu'un ? Comment le saurait-il alors qu'il ne ressentait que la détresse ? Que la tristesse ? Comment ?
Il n'en avait aucune idée... Alors, il restait ainsi. Debout face à ce dos. Sans savoir que le visage de Chûya commençait à se couvrir de larmes. Le fier et fort roux avait ouvert son cœur. Il s'était dévoilé pour, au final, ne rien recevoir... Il venait de comprendre pourquoi, suite à un chagrin, on pouvait devenir comme Kôyô... Car la sensation de sentir son cœur être déchiré en deux, c'était ce qu'il y avait de pire. Même Corruption était doux par rapport à cela... Alors, il sortit. Dans un silence lourd et pesant installé entre eux...
Chûya ne revint pas tout de suite chez le brun. Trop blessé. Trop triste. Trop... Tout. Il avait passé ses nerfs sur ses pauvres sous-fifres, il avait brisé plus d'os qu'il n'était demandé... Et... Quand, enfin, il repassait la porte de son partenaire... Il trouvait un appartement vide. Toutes les affaires étaient là. Mais leur propriétaire ? Envolé. Le rouquin s'était mis à paniquer, l'imaginant sur le bitume, le crâne explosé sous le choc entre l'os et le sol... Il pensait à tous les scénarios possibles jusqu'à voir ce bout de papier. Un petit bout de papier où quelques mots étaient écrits.
"Chûya,
Je suis parti. Ne me cherche pas. Ne tente pas de me retrouver.
Cesse de m'aimer, cesse de vouloir me sauver.
Vis.
O. Dazai."
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BSD - Recueil
FanfictionQue ce soit des One-Shots ou des textes plus longs, cette Histoire recueille de petites histoires sur divers personnages de BSD. (surtout du Soukoku)