Cassien

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Je n'aime pas les gens. C'est la raison principale qui me pousse à vouloir devenir avocat. Le jour où j'ai annoncé ça à mes parents, la surprise a tiré leurs traits, pourtant aucun n'a dit quoi que ce soit. J'imagine qu'ils sont habitués à mes bizarreries depuis un paquet d'années.

Me voilà donc sur les bancs de l'amphithéâtre de l'IUT de Carrières Juridiques, principalement parce que leur formation de deux ans est difficile et équivaut à trois voire quatre ans de droit. Le rythme s'avère intensif, et si ce n'est les travaux de groupe insupportables, je tolère bien l'environnement. Le plan est simple. Obtenir mon DUT puis intégrer la faculté de droit. Pas une mince affaire car la formation en IUT existe pour s'arrêter au bout de deux ans, d'où la délivrance d'un diplôme à l'issue, chose que la fac ne permet qu'au bout de trois années avec une licence. Seuls les meilleurs peuvent prétendre intégrer la faculté au milieu du cursus, mais je ne me fais pas de soucis là-dessus. D'une part parce que je ne m'en fais jamais, d'autre part parce que je suis bon, tout simplement. J'évite de le dire pour la simple et bonne raison que les gens n'aiment pas ceux qui ont confiance en eux.

A la journée portes ouvertes de la fac, la fille qui me faisait visiter a vite perdu son sourire quand je lui ai expliqué que le programme de droit pénal qu'elle entamait seulement en début de 4ème année n'avait déjà plus aucun secret pour le 2ème année d'IUT que je suis.

« Oui, enfin, vous devez voir tout ça à la va vite.

— À mon avis, nous sommes juste meilleurs parce que l'entrée à l'IUT se fait sur dossier alors que n'importe qui doté de la moyenne minimum peut intégrer la première année de fac. »

La fille s'est aussitôt renfrognée. Je n'ai pas compris, ayant fait l'effort de préciser que ce n'était que mon avis, et soulignant un état de fait. Mais les gens ont l'art de s'énerver pour rien, même des choses factuelles. Je n'y suis pour rien si les IUT sont plus sélectifs. Après ça, elle a écourté ma visite, ce qui m'a bien arrangé. La solitude a plus de choses intéressantes à dire que la plupart des gens. Selon moi, cette fille n'a pas sa place en droit si un simple fait suffit à provoquer un débordement en elle.

« Tu es sûr que tu veux aller là-dedans ? Le droit c'est un monde de requin ».

Vu le visage de mon père, j'en ai déduit qu'il s'inquiétait pour moi. Mes parents se sont toujours bien occupés de moi alors j'ai tendance à croire en leur sincérité parce que dans un monde où les gens ne sont pas idiots, les parents aiment leurs enfants. Evidemment, les gens sont bel et bien idiots. Heureusement pas tous. Mes parents ne le sont pas. Je le sais parce qu'ils ne posent pas de questions stupides – enfin, pas trop – et je mets beaucoup plus de temps à me désintéresser d'eux que des autres. Pour le coup, la remarque de mon père me semble un tantinet bête. Je mets ça sur le coup de son émotion. J'ai remarqué que les gens sont encore plus bêtes et irrationnels quand ils parlent et agissent suite à leurs émotions. La réponse à sa question me semble évidente, or ma mère renchérit :

— Oui, chéri. Le droit c'est... c'est un monde difficile. Il y a beaucoup de compétitions, les gens ne se font pas de cadeaux et sont mauvais entre eux.

— Eh bien c'est cool, je trouve. C'est mon élément. Comme ça pour une fois, je ne détonnerai pas au milieu des autres.

Mes parents se sont regardés. Ils n'ont rien répondu parce qu'ils savent que par bien des côtés, j'avais raison. Je me suis bien renseigné. Je sais ce qu'est le droit. Je sais à quel point les lois peuvent être injustes, les tribunaux partiaux. J'ai bien compris ce qu'est la nature humaine et ce qu'il y a de plus mauvais en chacun, pouvant parfois les pousser à commettre l'irréparable. Je sais que le droit nous amène à côtoyer à la fois ceux qui souffrent et ceux qui les font souffrir, que notre monde est régi par des codes qui ne s'accordent pas toujours à la complexité de la nature humaine. Je sais que beaucoup de personnes attirées par le métier d'avocat veulent défendre les victimes. Toutes ces raisons me poussent à exceller dans ce métier. Pas pour défendre les gens ou pour le plaisir de faire appliquer la loi. Tout ça je m'en fiche. Simplement parce que je suis meilleur que les autres à ce jeu-là.

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