Coeur couleur fusain

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— On peut fumer ?

Je fronçais les sourcils à cette question, écartant ce pronom dans lequel je ne désirai en rien être inclus.

— Non, c'est interdit. Et ma coloc ne veut pas, répondis-je.

Maximilien se retourna vers moi et je me liquéfiai sur place quand son attention me transperça.

— Elle est là ? demanda-t-il.

Les mains dans les poches de son blouson, il se tenait droit, au milieu du couloir qui desservait la minuscule entrée de notre logement étudiant. J'ignorais pourquoi mais un pressentiment me tenaillait. Celui selon lequel il risquait de ne pas faire ce que j'attendais de lui. Je me demandais pourquoi il avait accepté de perdre son temps avec moi.

— Non...

Je l'interrogeai du regard et ma question ne demeura pas longtemps en suspens quand il sortit ses mains de ses poches et en extirpa un paquet de cigarettes. Je voulus protester mais d'un geste qui trahissait l'expertise de nombreuses années de fumeur actif, il alluma sa cigarette et le briquet disparut de nouveau à l'intérieur du blouson.

— On fait ça où ? demanda-t-il avant d'expirer un nuage de fumée.

Je ne sus pourquoi, sa question déclencha une gêne en moi, si vive que je sentis mes joues me trahir. Il dut le voir car ses yeux ne me quittaient pas et un sombre sourire sardonique s'épanouit sur ses lèvres. Le simple fait d'évoquer ma chambre me donnait envie de bégayer si bien que c'est le plus naturellement du monde que je répondis :

— Dans le salon.
— 'kay.

Il maintenait sa cigarette et malgré le geste, je distinguai toujours son mystérieux sourire. S'il était indéniable que je le trouvai beau, quelque chose en lui me glaçait. Je n'aurai su dire quoi. Ce garçon m'envoyait bien trop de signes contradictoires. Sa voix chaude ne contrastait que trop bien avec ses attitudes marginales, et je me trouvai incapable de définir si ses sourires signifiaient pour lui un chaleureux accueil ou au contraire une glaciale moquerie silencieuse.

Il me suivit dans le salon et coinça sa cigarette entre ses lèvres pour retirer son manteau qu'il abandonna sur la première chaise venue. Puisqu'il inspectait le décor, je l'abandonnai là et battis en retraite dans ma chambre. Là, je respirai. Les deux mains à plat sur le bureau, mes yeux glissèrent sur le capharnaüm qui jonchait habituellement le bois. Je tardais toujours à nettoyer mes pinceaux si bien qu'ils demeuraient là, à tremper dans un verre à l'eau colorée comme des plantes étranges qui attendaient de grandir. Ma trousse de crayons de couleur s'était renversée et je dus farfouiller parmi eux pour retrouver mes crayons graphites et mes fusains dissimulés dessous. D'une main tremblante, j'ouvris le tiroir et en extirpai ma pochette de papier canson. Je tentai de calmer les assauts de mon cœur en caressant le grain du bout des doigts. Une fois dans mon monde, je savais que tout irait bien. Mais il s'agissait de passer ce moment ridiculement gênant où je devrais demander à Maximilien de bien vouloir se déshabiller, et ce pour la postérité de mon art.

Gênance fois mille, même.

Je déglutis et embarquai mon support ainsi qu'un fusain après une longue inspiration tout cela pour me stopper sur le seuil de ma porte, à peine quelques mètres plus loin. Maximilien s'était rapproché de la fenêtre. Il ne m'avait guère attendu pour se débarrasser de son t-shirt si bien que mon attention se perdit bien malgré moi sur la musculature de son dos. Je trouvai étrange cette parcelle de lui, nue, comme un parchemin vierge. Alors que je peinai à comprendre le fouillis des émotions qui traversaient son visage, c'est débarrassé de ses vêtements qu'il apparaissait dans sa plus tendre contradiction. Accoudé à la fenêtre, il observait la vie grouillante du centre-ville, me laissant le loisir d'imprégner cet instant dans mes souvenirs. Incapable de graver ce tableau dans mes rétines, je sortis discrètement mon téléphone et immortalisai le moment. Peut-être plus tard aurais-je le courage d'y pencher mon âme d'artiste ?

Esquisses de vie Où les histoires vivent. Découvrez maintenant