Chapitre 2 : La cérémonie royale

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À plus de deux mille kilomètres à l'ouest de la ville d'Akas, le crépuscule tombait sur l'immense plaine du Hurlant. Surinia-Ville, la capitale, ne comptait qu'un demi-million d'habitants et avait conservé depuis sa fondation ses frontières originales. Elle s'étendait entre les contreforts montagneux de la chaîne de Numia au nord et le lac intérieur au sud. La plupart de ses bâtiments dataient de plusieurs siècles et présentaient l'architecture typique du premier siècle de règne du vieux souverain. Malgré sa taille relativement modeste au regard des autres cités sanaturiennes, la capitale hébergeait les principales institutions du pays. Pourtant, le roi, sa famille et sa cour l'avaient quitté pour la ville voisine de Flegsmattes, trente fois plus peuplée.

Nutillion, Albinque, Arbol et Dolomine occupaient le reste de la plaine du Hurlant au sud des montagnes de la Numia et de la Nutellia. Ces six villes formaient la plus vaste et la plus peuplée des aires urbaines du pays, avec une population de près de quatre-vingt millions d'habitants, une longueur de plus de quatre cents kilomètres et une largeur de quatre-vingt-dix kilomètres.

Niché sur son piton rocheux, sur les hauteurs de la ville de Flegsmattes, le palais royal siégeait en colosse. Ses lueurs scintillaient au-dessus de la plaine et se perdaient dans les flots calmes du lac intérieur que son immense parc baignait. Résidence royale officielle, le palais de Flegsmattes était aussi une véritable institution nationale et historique, où les légendes du passé côtoyaient la dure réalité contemporaine.

Flegsmattes resplendissait ; une douzaine d'imposants lampions diffusaient la lumière orange écarlate des projecteurs sur ses façades richement décorées. Jouant d'ombre et de lumière, les figures allégoriques de la monarchie et de la religion surveillaient et tenaient les deux portes d'entrée monumentales en bois. Si loin du tumulte des métropoles de la plaine et de leurs rues grouillantes, les invités les plus prestigieux du pays défilaient sur la principale allée du parc et, sous le regard pénétrant des idoles, se pressaient vers le grand hall au centre de l'aile principale.

Ainsi pour la cinq-cent-quinzième année consécutive, les vingt-cinq gouverneurs provinciaux, la soixantaine de ministres, quelques dignitaires et autres gens de noble rang se rassemblaient autour du souverain au palais royal de Flegsmattes. Après avoir franchi son seuil et traversé le grand hall, ils convergeaient vers la salle du trône, la plus grande et la plus décorée de toutes les pièces, localisée au cœur du palais. Il s'agissait aussi d'un grand espace de vie où se croisaient chaque jour les courtisans de la Maison Royale et où se racontaient les histoires qui animaient la cour. Ses murs monumentaux présentaient d'impressionnantes sculptures ponctuées de tableaux de maîtres, le tout à la gloire d'une histoire prestigieuse.

Car le vieux roi Sanaturius Selenius Surinia régnait depuis cinq cent quinze ans sur un royaume qui s'étendait du pôle Nord à l'équateur, sur cette masse continentale immense que son peuple eut bien du mal à dompter. Le mysticisme autour de son épopée déroutait, à commencer par sa longévité extraordinaire : à officiellement cinq cent quinze ans, il possédait le corps et la réflexion d'un homme d'une soixantaine d'années. Nul ne connaissait ses origines ni son enfance, il ne démentait ni ne confirmait aucune des spéculations ou rumeurs à son encontre et n'abordait jamais le sujet. Maître Sanaturius était bien le seul être vivant à posséder son propre nom dans les livres saints du Jinchou, la religion sanaturienne.

D'après l'histoire officielle du Jinchou, Sanaturius enfant, apparut une matinée bénie de printemps, peu avant l'aube. Il s'octroya aux dépends du roi, Gérard II de Sanaturie, le pouvoir souverain du peuple alors en grande difficulté face à la puissante armée du peuple voisin, le royaume de Dolminie. À moins d'un contre cent, avec des volontaires sous-équipés, il mena de main de maître une croisade décisive contre cette armée et libéra les Sanaturiens de l'anéantissement. En l'honneur de cet exploit, ce jour fut baptisé « Jour de la Selenia » et marqua le commencement du calendrier national et de l'année civile. Il symbolisait sa prospérité continue, gageait de sa superpuissance incontestable et rappelait au Monde sa légende.

Epopée Surinienne - Episode 1 - L'Épreuve de ForceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant