Chapitre 3

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Université technologique, quatre vingt deux mètres sous la tour Eiffel, dixième étage, seizième galerie,

Même si les brouhaha ne se calmèrent pas totalement, le professeur reprit.

« Je vous disais, et c'est d'autant plus important pour vous qui êtes en première année, que les algorithmes sont omniprésents autour de nous, et ça, depuis des centaines d'années. Dans les ordinateurs, les téléphones, les robots...

— Les cerveaux humains, interrompit une voix lointaine. »

Des rires éclatèrent dans l'amphithéâtre.

« Pas dans tous les cerveaux humains, corrigea Noah, sèchement. Uniquement ceux qui vivent à la surface. Uniquement ceux qui choisissent le Programme. Cette humanité qui a fait du temps leur nouveau Dieu.

— Peut-être qu'ils sont plus heureux que nous avec leur Dieu, intervint une nouvelle voix, féminine cette fois-ci. »

Il y a encore quelques années, ce genre de remarque était inimaginable, surtout venant d'une jeune personne. Mais, Noah le savait bien maintenant, les esprits avaient radicalement changé sous Terre.

« Leur bonheur est feint, répliqua Noah. Ils sont drogués au temps, n'en ont jamais assez. Ils peuvent vivre jusqu'à deux cent ans, oui, mais à quel prix ? Le temps les tuera tous. C'est pourquoi je suis devenu développeur il y a cinquante ans, et que je me bas tous les jours pour prendre le contrôle du Programme, et le détruire. »

Une nouvelle voix s'éleva au fond de l'amphithéâtre.

« Mais le Programme est considéré comme inviolable. La preuve: personne n'a réussi, pas même vous. »

De toute évidence, Noah en était conscient, bon nombre d'entre eux étaient attirés par le Programme. Et si lui, le hacker le plus reconnu sous terre échouait face à lui, quel espoir pouvait-il rester à ces nouvelles générations ?

« Alors quoi ? se défendit Noah. Est-ce ça la solution ? Se laisser tenter par le Programme ? Êtes-vous trop faible pour le combattre ? (Il hésita, mais il ne put s'empêcher d'en parler). Il y a soixante et un an, j'avais deux ans, et ma mère nous a abandonnés, moi et mon père, pour le Programme. Nous ne l'avons jamais revu. Et vous savez quoi ? Elle en est morte quelques années plus tard. Le Programme l'avait rendu complètement folle. Nous avons appris qu'elle avait mis fin à ses jours. »

Sans s'en rendre compte, ses yeux s'embuèrent de larmes, mais il ne céda pas aux sanglots. Un lourd silence de compassion s'ensuivit. Mais il n'était pas dupe, les élèves n'allaient pas être sensibles bien longtemps à des narrations émotives de la sorte.

C'est ce qu'il se dit en rentrant chez lui, le soir venu, après avoir donné son dernier cours de sécurité informatique. En arpentant ces galeries souterraines, il réalisait que les choses avaient changé bien trop rapidement, en l'espace de quelques années, et le temps jouait contre lui.

Alors qu'il venait de rentrer chez lui, il découvrit son fils assis sur le canapé, le regard vide, en tenu de travail, le visage recouvert de terre et de crasse.

« Peter, est-ce que ça va ?

— Ça pourrait aller mieux, répondit son fils. Nouvel éboulement, douzième brèche, au huitième kilomètre.

— Tu aurais dû me prévenir ! Tu n'as rien j'espère !

— Te prévenir avec quoi ? Le réseau téléphonique est inutilisable depuis des mois, tu le sais très bien. Et non, je n'ai rien, merci de t'en inquiéter. En revanche, on a encore perdu quatre ouvriers. Et plusieurs d'entre nous sont dans un état critique. Pas du fait de l'éboulement, mais des conditions de vie. Papa, c'est devenu presque impossible d'entretenir cet endroit. Je n'ai pas envie de finir comme maman...

— C'est terrible.

— Oui comme tu dis. Et qu'est-ce que tu fais pour arranger les choses, hein ?

— Je te demande pardon ? Depuis des dizaines d'années, je travaille sur le Programme. J'y pense en me levant, en me couchant.

— Et pour quel résultat ? Aucun.

Décidément, ils allaient tous s'y mettre aujourd'hui ? pensa Noah.

— Figure toi que je touche au but justement ! »

Peter se mit à rire.

« C'est ce que tu dis depuis des années ! Et pendant ce temps-là, on crève tous ici, et les autres, à la surface, vivent deux siècles entier !

— Mais ces gens sont malades ! Des cadavres sous perfusion ! Tu as bien vu comment ça a fini pour ta grand-mère !

— Au moins elle a tenté de sortir de cet enfer ! Elle en a eu le courage ! »

Alors que Noah s'apprêtait à répliquer, Peter s'éclipsa dans sa chambre.

Le temps d'un instant, Noah comprit son fils. Mais le Programme lui revint à l'esprit, annihilant tout argument en défense de l'algorithme. Plus que jamais, il devait en prendre le contrôle, et rapidement.

Il balaya les résidus de terre qui venaient de s'échapper du plafond et prit place devant son ordinateur. Sous ses yeux cernés, les lignes du Programme le narguaient. Depuis sa création, le Programme avait fait preuve d'une robustesse redoutable face aux nombreuses attaques, dont les siennes.

Surtout depuis que Pierre Salmon avait repensé entièrement l'architecture et la sécurité du Programme, songea Noah. Sans lui, à l'heure qu'il est, le Programme serait sûrement détruit.

Alors qu'il se remettait au travail, Noah ne put s'empêcher de ressentir un léger malaise: à part du temps, il lui manquait autre chose.

Le ProgrammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant