Chapitre 4

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Dix sept heures, quarante minutes et trente secondes

Depuis plus de quatre heures, un lourd silence troublé uniquement par le bruit des touches du clavier régnait dans l'appartement. Puis, à l'instant où un sourire victorieux se peignait sur les lèvres du développeur, un silence total se fit.

« Le bug a disparu, le bug a disparu ! lança Pierre, les bras levés au ciel. »

Transporté, il compila la mise à jour en toute hâte et l'exécuta sur Eternity qui dormait dans un coin sombre de la pièce.

Nonchalamment, le robot de test se réveilla de sa veille prolongée, ouvrit ses paupières métalliques et se redressa aussitôt, comme un élève assoupi en classe, surpris par son professeur.

Le cœur battant, Pierre entama le processus.

« Bonjour Eternity.

— Bonjour, répondit le robot d'une voix dépourvue d'émotion. »

Il connaissait la prochaine réponse, mais posa tout de même la question.

« Avant la mise à jour que je viens de t'administrer, quelle était ton espérance de vie ?

— Deux cent vingt ans. »

Jusque là, rien d'anormal.

La version actuelle du Programme simulait à Eternity une espérance de vie de deux cent vingt ans, dans l'hypothèse qu'il fut un humain en excellente santé.

Maintenant, il devait affronter la réalité. Le Programme coulait dans les veines numériques du Robot. Pierre avait l'impression que son cœur allait s'échapper de sa poitrine. Finalement, d'une voix tremblante, il se lança.

« Et maintenant, avec la mise à jour, quelle est ton espérance de vie ? »

S'il annonce deux cent quarante ans, pensa Pierre, c'est que la mise à jour est fonctionnelle.

Mais, dans son état, dix, cinq ou même un an ferait l'affaire. Même quelques mois supplémentaires lui permettraient de réfléchir calmement à une prochaine mise à jour.

« Deux cent dix ans, déclara Eternity. »

Subitement, le cœur de Pierre s'arrêta de battre.

« Quoi ? s'égosilla-t-il, les yeux écarquillés d'horreur. Je t'ai demandé quelle est ton espérance de vie maintenant, avec la mise à jour !

— Deux cent dix ans, répéta le robot. »

Furieux, Pierre se leva de sa chaise, se dirigeant d'un pas agressif vers Eternity.

« Comment ça deux cent dix ans ! Tu ne peux pas perdre dix ans d'espérance de vie ! La mise à jour est censée t'en rajouter vingt supplémentaires. Ne me raconte pas de salade ! Quelle est ton espérance de vie ?

— Deux cent dix ans.

— Et tout à l'heure, avant la mise à jour ?

— Deux cent vingt ans. »

A l'aide de ses deux mains, Pierre agrippa le cou du robot, comme pour l'intimider.

« Et maintenant, avec la mise à jour ?

— Deux cent dix ans.

— C'est faux ! hurla Pierre. Tu mens ! Tu n'es qu'un menteur ! »

Secouant le robot de toutes ses forces, la colère lui arrachait des jurons. Alors qu'il serrait la ferraille dure et froide de la machine, la tête du robot se disloqua, et Pierre se fit emporter par son poids. Étendu au sol, la tête du robot entre ses mains, le développeur se redressa et frappa à plusieurs reprises la tête d'Eternity sur le parquet en fibre végétale.

« Menteur, menteur ! répétait inlassablement le développeur. »

A chaque juron, il écrasait au sol la tête du robot innocent.

« Menteur, menteur ! »

Une fois que la tête ne ressemblait plus qu'à un amas de fils électriques, Pierre relâcha son étreinte. Une nouvelle douleur au foie le fit se plier en deux. Il toussa à plusieurs reprises, ses poumons le punissant de plusieurs décharges électriques atroces. Après que sa toux ne cesse finalement, il réalisa qu'un filet de sang ruisselait le long de son menton.

Comme son téléphone portable était posé à côté de son ordinateur, il démarra l'application du Programme sur sa montre et vérifia le compte à rebours.

Douze heures, deux minutes et quarante sept secondes.

Son excès de colère venait de lui coûter cinq heures. La résignation se déversa en lui.

N'ayant plus la force pour se relever, il réalisa qu'il n'avait plus aucune solution en tête.

Il fondit en larmes.

Le ProgrammeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant