Léthé

6. Antipathique.

Je me réveille en sursaut. Il fait nuit noire et seul l'éclat de la lune traverse difficilement les rideaux. Alors que je regarde autour de moi désorientée, je sens une goutte de sueur perler le long de mon cou avant de glisser sur ma poitrine. Je me passe la main sur la nuque et sens que mes cheveux forment désormais un nid épais et emmêlé maintenu par la transpiration. L'air frais de la pièce parcourt ma peau humide et me fait frissonner. C'est alors que je remarque Nat près de moi dans le lit. Il se redresse sur un coude et me dit:

- « Tu as fais un cauchemar. »

C'était très déstabilisant. Notre soirée était si parfaite, pourquoi la revivre avec cette fin si angoissante?

« Le médecin a dit que ça arrivait régulièrement aux personnes dans ta situation, ne t'inquiète pas. »

J'ai beau chercher je ne comprends pas la signification de ce mauvais rêve. Des souvenirs? Oui. C'était peut-être des flash-backs de notre vraie premier rendez-vous... pourquoi nous courrions comme ça? A qui est-ce que nous voulions échapper? Je devrais peut être en discuter avec Natanaë mais je n'ai vraiment pas la foi d'entamer cette discussion maintenant. Mon esprit est en ébullition il faut que je me calme.

- « Je vais descendre boire un verre d'eau. »

- « Bouge pas je te l'apporte" rétorque Nat en se levant subitement

- « Non! Je v... » il est déjà parti.

Cette situation est vraiment très déstabilisante. Le médecin a dit que la mémoire pouvait me revenir par le biais de flash-back mais comment me fier à ça? Comment savoir si c'était réel ou juste un mauvais rêve venu me tourmenter.

Nat s'assoit devant moi un verre d'eau dans la main et un médicament dans l'autre.

- « Tiens je t'ai ramené un calmant, ça va t'aider à t'endormir »

Je l'avale sans poser de questions.

***

- « Bonjour Madame ... expliquez moi votre situation. »

Le bureau de la psychologue est beaucoup moins agréable que dans les films. C'est un bureau... tout ce qu'il y a de plus simple: une petite pièce sans couleur, sans décoration, une table entourée de part et d'autre par deux chaises à peine confortables et une petit fenêtre plein nord qui éclaire à peine la pièce exiguë.

- « C'est mon médecin traitant qui m'envoie. Je suis amnésique et il pense que vous pourriez m'aider à surmonter cette épreuve... »

- « Qu'en pensez vous? Vous pensez que je pourrai vous être utile?" demanda t-elle en plantant son regard vide dans le miens.

Pourquoi les psychologues doivent-ils être si froids et sans vie? Peut être est-ce tout le poids des malheurs d'autrui qui pose sur leurs épaules. A force d'aider les autres leur humanité s'amenuise et le mal les embaume.

Alors là non je ne crois pas. A part mourir d'ennuie je ne vois pas bien ce que pourrait m'apporter ces rendez-vous...

- « Euh oui je pense ...

- Pourquoi?" demanda t-elle sans entrain.

- « Euh, je... je ne comprend pas où vous voulez en venir...vous avez des connaissances que je n'ai pas sur le sujet...je ne sais pas..." Mais qu'est-ce que je fais ici!

- « Vous me parlez de votre médecin traitant, du fait qu'IL vous envoie, qu'IL pense que je pourrais éventuellement vous aider etc mais et vous dans tout ça? Vous! Qu'en pensez vous? La guérison passe avant tout par l'envie de guérir et la prise de conscience.

- Moi...à vrai dire je suis complètement perdue, je ne reconnais plus ma vie, je ne me reconnais plus.

- Parlez moi de ce que vous savez.

- Euh bah je m'appelle Coleen, j'ai un petit garçon Naël, je suis infirmière spécialisée en pédiatrie, j'ai ...

- Tout ça vous le savez?" Me coupe la psychologue "Où est-ce que l'on vous a dit?

- "Hmm, c'est ce qu'on m'a dit." avouais-je.

- "Je vous ai demandé ce que savez.

- Je sais que j'ai un fils mais je ne sais plus avec qui. Je sais que j'ai des parents formidables et que j'ai eu une superbe enfance et c'est à peu près tout.

- Vos derniers souvenirs remontent à quand?

- Je dirai il y a environ deux ans.

- Vous savez à quoi correspond cette date?

- A ma rencontre avec Natanaë je dirai..."

La psychologue baisse le regard puis écrit sur son carnet d'un air satisfait.

Elle relève la tête et me demande:

"Qu'est-ce qui vous pose problème concrètement dans votre vie en ce moment? Mise à part cette amnésie qu'est-ce qui vous perturbe?

- Je fais des cauchemars."

Alors que je lui décrit ce mauvais rêve une montée d'angoisse me prend la poitrine. Mon coeur s'accélèreraient tout comme ma respiration. J'ai chaud, trop chaud. Je me rend compte que mes mains s'entortillent entre elles au point de devenir blanchâtres. La psychologue m'observe, prend des notes mais n'intervient pas.

-"Autre chose?" demande t-elle.

C'est alors que je prend conscience de la solitude qui m'entoure. Je me sens très seule. Natanaë me soutient mais je ne vois que très rarement mes parents. Je ne me suis pas encore posé la question mais je n'ai pas d'autres famille? Des amis? Des collègues? Pourquoi personne ne me rend visite? Pourquoi personne ne prend de mes nouvelles?

- " Parlez en donc avec votre compagnon. Reprenez vos activités. Rencontrez vos proches. Vous pouvez par exemple aller rendre visite à vos collègues." Me conseille la psychologue.

Une fois la porte du bureau refermée derrière moi je souffle un bon coup et me met à chercher le service pédiatrie.

Les couloirs d'un blanc éblouissant me paraissent familier. Je me dirige au gré de mon instinct, je vogue parmi les blouses blanches qui marchent prestement, les patients hagards et les affiches aux images toutes plus déstabilisantes les unes que les autres. Les sourires parfaits, des familles parfaites ornant les murs d'un lieu aussi sinistre, du lieu de tous les malheurs et de toutes les pressions, j'ai toujours trouvé ça horrifiant. Digne d'une atmosphère hitchcockienne. Mon intuition m'amena dans des couloirs de plus en plus lumineux et colorés. De plus en plus de dessins ornent les murs et l'ambiance se fait plus douce.

- « Colleen??? » fit une voix dans mon dos.