Chapitre 1

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— On arrive quand ?

— Patience, Cléo, on y est presque ! Encore quelques kilomètres, répond ma mère en se contorsionnant tant bien que mal dans son siège.

     Le voyage jusqu'à Brumelac est long, mais heureusement, les paysages qui défilent sont assez captivants pour que je ne m'ennuie pas trop. Nous quittons la dernière grande ville sur notre route et nous nous enfonçons davantage dans une forêt dense, où les derniers rayons du soleil filtrent à travers les feuilles. Je pose mes mains sur la vitre, émerveillée. Ce n'est pas tous les jours que je peux admirer de tels paysages, même en étant fille d'expatriés. Jakarta, Séoul, Paris et New York, c'est bien, mais moi, j'ai toujours aimé me sentir... seule au monde. Entourée d'arbres, de quelques ruisseaux et du chant des oiseaux. Une vraie petite princesse Disney... version asociale !

Les kilomètres défilent sous nos roues, jusqu'à ce que nous apercevions enfin le panneau annonçant l'entrée à Brumelac surplombé d'une immense montagne qui me donnerait même le tournis. Je n'ai qu'une hâte : récupérer mon lit, mon ordinateur, regarder une série et dormir ! Mais cette impatience se transforme vite en un sursaut de peur quand, au moment où le capot passe à côté du panneau, un son étrange – un mélange de cris assourdissants mêlé à une note de cornemuse mal jouée – résonne dans la forêt. Mes yeux s'écarquillent, et je me tourne vers mes parents, mais leur expression reste impassible, comme si rien n'était venu perturber leur quiétude.

— Vous avez entendu ça ?

— De quoi tu parles encore ? demande ma mère, sans se retourner cette fois-ci, un air bizarrement agacé collé au visage.

Oh, ça va hein ! Je n'ai posé qu'une quarantaine de question max durant tout le trajet !

— Clarisse, laisse, tu vois bien qu'elle stresse un peu. Tout va bien, ma chérie. Nous sommes arrivés à Brumelac, encore un peu de patience. Profite-en pour admirer ton nouveau chez toi, lance mon père d'un ton jovial.

— Non mais sérieusement, vous n'avez pas entendu ? Il y a eu une sorte de cri. Super bizarre..., bougonné-je.

— C'est la fatigue, ma chérie. On roule depuis bientôt huit heures.

Mouais.

Soit il y a eu un bruit super étrange et je suis la seule à l'avoir entendu – une habitude depuis que j'ai cinq ans de toute les manières –, soit je suis K.O. et mon père a raison. Et mon petit côté rationnel me dit que c'est cette deuxième option. Je reporte mon attention sur le paysage environnant, sans essayer d'y penser. Allez, encore quelques minutes d'attente et nous sommes arrivés.

     Les rues de Brumelac se déploient devant nous, et pour une fois, je suis vraiment surprise de trouver cela incroyablement charmant.

Les bâtiments en pierre, aux toits pentus, confèrent à la ville un petit je-ne-sais-quoi en plus. Des lampadaires celtiques éclairent doucement les trottoirs, et on dirait presque que je me balade dans un de ces parcs à thème d'Orlando, tant c'est féerique. Fait étrange, aucun magasin ni restaurant n'est ouvert. Nous sommes mercredi, il n'est même pas encore vingt heures. Ajoutons à cela qu'il n'y a pas un chat dans les rues.

La voiture s'arrête finalement devant une maison en briques rouges, entourée d'un jardin bien entretenu. J'ai souvent été habitué à être dans de jolies appartements bien agencé mais là on est sur un tout autre niveau.

— Tu es chanceuse, Cléo, la maison est vraiment bien située. Au cœur de la ville, tu pourras sortir avec tes copines facilement !

— Je ne savais pas que t'étais agent immobilier, ne puis-je m'empêcher d'ajouter d'un ton plus acerbe que je ne l'avais imaginé dans ma tête.

Je vois les épaules de ma mère s'affaisser à cette dernière phrase. Je m'excuse rapidement en sortant de la voiture et lui claque une bise sur la joue avant de récupérer les clés qu'elle vient juste de sortir de son sac à main. Je cours vers la porte d'entrée que je m'empresse d'ouvrir et reste figée devant l'intérieur de la maison pendant une bonne minute.

— Wouah !

Ok... La maison est grande. Et super jolie. Et vraiment grande. Et... Y'a même du marbre dans la cuisine ?! 

Je fais le tour du rez-de-chaussée et reste ébahie devant la grande cheminée en pierre dans l'immense salon cathédrale avant de finalement me précipiter dans les escaliers pour trouver ma chambre. Je n'ai pas à chercher trop longtemps. Après avoir ouvert la porte de la salle de bain – immense elle aussi – et celle des toilettes – super cosy –, je tombe finalement sur ce qui semble être ma nouvelle chambre. En témoigne une de mes peluches qui tente de se faire la malle d'un de mes cartons; Je me jette sur le lit qui trône au centre de la pièce et qui est moelleux à souhait. Les draps ont déjà été installés, et certains de mes meubles, décorations – et même ma platine vinyle – sont déjà en place. Je ne doute pas que ma mère a fait appel à plus que des déménageurs pour ce coup-là, et je lui en suis vraiment reconnaissante.

J'entends mon père me demander de descendre et sors du lit à contrecœur pour retourner dans le salon. Ma mère m'attire vers elle, et nous tombons tous les trois sur le canapé, alors qu'elle m'enserre fermement dans ses bras et que je lutte, les joues rouges, pour retrouver un semblant de dignité et surtout, de l'air.

— Tu vas voir, ma chérie, tu vas te plaire ici, rigole ma mère en me dévisageant, J'y ai vécu quand j'étais plus jeune, et j'y ai passé les plus belles années de ma vie.

— Hein ? Je pensais que c'était pour le nouveau travail de Paps qu'on venait ici ?

— Aussi. Mais cette maison appartenait à tes grands-parents.

Je sursaute et me redresse pour la regarder en fronçant les sourcils.

— Tu pouvais pas le dire avant qu'on emménage ?

— Surprise ! tente ma mère.

J'aurais bien aimé ronchonner comme j'aime tant le faire, mais le visage de ma mère est tellement hilarant que je ne peux m'empêcher de m'esclaffer. Mon père me rejoint bien vite, suivi par ma mère qui finit par se lever du canapé, mon père sur ses talons, pour aller préparer le dîner.

Je reste à lambiner sur le canapé et feuillette les quelques prospectus posés sur la table basse. L'un concerne le lycée. Je n'ai pas rempli les documents, ce sont mes parents qui s'en sont chargés, je ne sais donc pas du tout à quoi m'attendre de ce nouveau lycée. Cependant, je ne peux m'empêcher de m'esclaffer à la vue du logo de celui-ci : un taureau enragé qui porte un tee-shirt bleu avec un "B" dans une typographie à pleurer. Ridicule.

     J'en ai fait des écoles. Toutes avec leurs signes distinctifs. Toutes à vouloir faire mieux que les autres, à vouloir être différentes. Brumelac semble ne pas faire exception à la règle. Et pourtant, ce n'est pas comme s'ils avaient la moindre concurrence niveau école. La ville la plus proche doit se trouver à plus de quarante kilomètres au minimum. Tous les gens de ce patelin doivent sûrement vivre, étudier et mourir ici. Sauf ma mère. Mais elle est revenue, alors quelle est la différence ?

Je l'interrogerais bien un peu plus, mais je peux l'entendre de là réprimander mon père parce qu'il n'a pas correctement assaisonné le poulet et ma fatigue l'emporte largement sur ma faim. Je passe donc la tête dans l'entrebâillement de la porte, souhaite bonne nuit à mes parents et m'éclipse dans ma chambre.

Alors que sombre peu à peu dans les bras de Morphée, le cri entendu plus tôt dans la forêt tourne en boucle dans ma tête. Quelque chose dans ce son me dérange, me hante. Mais avant que je ne puisse y réfléchir davantage, le sommeil m'emporte.

Lac troubleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant