Chapitre 2

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     Je me réveille étrangement énergique. En même temps, dormir dix heures est un luxe que peu de lycéens peuvent se permettre, sauf peut-être le week-end.

Bon, je ne remercie tout de même pas mes parents d'avoir choisi de faire le trajet jusqu'à Brumelac un mercredi, en pleine période scolaire, ce qui, par la force des choses, m'oblige à être présente aujourd'hui en cours. Je consulte tout de même l'emploi du temps qu'on m'a envoyé par mail. J'ai une heure et demie pour être prête. On va dire que c'est suffisant. Je prends une douche rapide et enfile mon nouvel uniforme scolaire, qui, contrairement au logo, n'a rien d'original. Lorsque je descends dans la cuisine, mes parents sont déjà attablés, et un bol de céréales ramollies - comme je les aime- m'attend.

— Prête ? demande mon père en me fixant, les lèvres pincées et les sourcils haussés.

— Fous ch'allez pas me pocher la quechtion à chaque fois, non ?

Ma mère a la même mine de dégoût que mon père et me tend une serviette que je m'empresse de saisir pour essuyer ma bouche.

— Tu vas être en retard, dit-elle pour seule réponse.

— Mais non, tu m'as dit que ça prenait cinq minutes pour y aller !

— Oui Cléo, cinq minutes. En voiture. Quinze à pied.

Un rapide coup d'œil à ma montre m'indique qu'il ne me reste qu'une vingtaine de minutes.

J'avale mes céréales en vitesse, embrasse mes parents, puis cours dans le hall. Les lacets de mes chaussures semblent décidés à me compliquer la vie, et je dois batailler avec eux pour obtenir un résultat décent. Je me regarde rapidement dans le miroir de l'entrée et souffle de dépit. Malgré mes longues heures de sommeil, mes yeux sont cernés, et mes taches de rousseur semblent refaire surface. Je sors un peigne de mon sac et tente de mettre de l'ordre dans mes cheveux quelque peu en bataille. Peine perdue, je jette rageusement le peigne dans mon sac et sors de la maison d'un pas résolu.

     Si hier soir, Brumelac semblait être une ville morte ou abandonnée, ce matin, les rues sont animées par une joyeuse effervescence matinale. Je croise des lycéens qui échangent des blagues et rient de bon cœur sans me remarquer. Mes nouveaux voisins, un couple âgé, affichent des sourires radieux et m'adressent des salutations chaleureuses. On pourrait presque croire à l'une de ces villes parfaites où tout le monde est amical, bienveillant, et où règne une communauté fondée sur l'entraide et la convivialité... Eurk. Le karma semble vouloir s'abattre sur moi, car alors que je me moque intérieurement de toutes ces personnes si heureuses, je me prends les pieds dans mes lacets mal faits et m'étale au sol, entraînant dans ma chute une grande rousse en uniforme qui marchait quelques pas devant moi. Je me confonds en excuses, me relève honteusement et lui tends la main pour l'aider à se remettre debout. Elle repousse ma main d'un geste brusque, époussette sa jupe et me lance un regard noir.

— Idiote.

Bon.

À défaut de m'être fait une copine, je crois que je viens de me faire ma première "hater". La rousse semble vouloir me transpercer du regard, mais se retourne sans prêter davantage attention à moi. Gênée, je reprends ma marche, non sans avoir ajusté tant bien que mal mes lacets.

     En marche rapide, il me faut seulement dix minutes pour rejoindre le lycée. Et je ne me sens pas peu fière. J'ai une toute petite dizaine de minutes d'avance, ce qui me permet de prendre un peu de temps pour admirer le bâtiment, qui semble tout droit sorti d'un roman victorien. Mur en pierre, grandes baies vitrées, et vue imprenable sur le lac Brumeux.

Si jusqu'à maintenant, je n'étais pas vraiment stressée par mon nouvel environnement, là, je suis paralysée. La ville est belle. Et même très luxueuse pour une ville de campagne. D'expérience, ce sont des endroits comme celui-ci où j'ai eu le plus de mal à m'intégrer. Non pas que ça me dérange particulièrement, mais là, mon père ne m'a pas donné de date fixe concernant notre séjour ici, et je vais sûrement devoir passer toute ma terminale avant de pouvoir partir ailleurs ou trouver une université qui me convient.

Lac troubleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant