Chapitre 4

56 12 36
                                    

     Coco, fidèle à sa promesse, m'attend déjà à la sortie des cours. À peine la sonnerie retentit, que j'aperçois le sommet de sa tête à travers la porte vitrée. Je me dépêche de la rejoindre, et nous quittons le lycée à toute vitesse. Ce n'est pas que je sois si impatiente de partir, mais les regards curieux des autres élèves tout au long de la journée commencent à me peser. Ajoutons à cela mon besoin urgent de retrouver mon lit, mon ordinateur, et peut-être un peu d'air frais.

— Allez, fais pas cette tête, rigole Coco en me poussant légèrement sur le côté.

Je la pousse doucement à mon tour, et durant tout le reste de notre court trajet, nous nous amusons comme deux enfants. Il y a au moins une chose positive dans cette ville : cette fille.

Devant le lycée, une foule d'élèves ne nous lâche pas du regard tout en chuchotant à notre passage. J'ai l'habitude des nombreuses rentrées en pleine période scolaire, mais Coco semble se ratatiner un peu plus à chaque fois qu'on passe devant quelqu'un.

— Tu veux passer chez moi ? Je pourrais te faire découvrir le coin.

— Pas aujourd'hui, j'ai un programme chargé avec mon lit.

— Nietflix ?

— Exactement !

Je jette un coup d'œil aux voitures alignées devant l'établissement, une vingtaine de berlines rutilantes. Coco habite dans les hauteurs de Brumelac, un quartier difficile d'accès, ce qui explique pourquoi un chauffeur l'attend ici. Un privilège qu'elle semble partager avec un bon quart des élèves du lycée.

— Je te dépose ? me demande Coco, la moitié du corps déjà à l'intérieur de la voiture.

— Je vais marcher, on se voit demain ?

Coco hausse les épaules, mais me fait de grands signes de la main avant de s'éclipser.

L'espace d'un instant, je regrette presque de ne pas avoir accepté son invitation tant cette journée m'a épuisée. Mais je décide de m'accorder une pause pour profiter de la vue que je n'ai pas pris le temps d'admirer ce matin.

     La route principale de Brumelac longe le lac Brumeux, bordé de berges paisibles où quelques villageois se sont déjà réfugiés. À mi-parcours, je trouve une berge déserte et m'y installe. Les eaux calmes reflètent le ciel gris, et la légère brume qui flotte à la surface arrive presque à m'apaiser.

Ma tranquillité est cependant de courte durée. Alors que je m'apprête à sortir mon carnet pour dessiner, un garçon du lycée — reconnaissable à son uniforme — s'approche et commence à faire des ricochets sur l'eau. Ses boucles brunes dansent au vent, contrastant avec sa peau hâlée. Lorsqu'il se tourne vers moi, je le reconnais rapidement : Alessandro, le garçon qui s'est battu à la cantine ce midi. Son regard reste accroché au mien, si intense et immobile que j'ai l'impression qu'il pourrait me transpercer.

— J'ai quelque chose sur le visage ?

— T'es anxieuse.

Hein ?

Il finit par détourner le regard, un grand sourire aux lèvres, avant de s'asseoir à côté de moi.

— On ne s'est pas encore présentés, la nouvelle. Alessandro, dit-il en me tendant la main.

— Cléo.

Quand j'attrape sa main, une étrange sensation de brûlure parcourt ma peau. Je retire brusquement ma main et le regarde, effarée, mais son sourire reste inchangé. Alors que bizarrement, j'ai l'impression de me sentir...Mieux.

— On attendait tous ton arrivée ici.

— Parce qu'il n'y a pas souvent de nouveaux dans ce lycée ? je l'interroge, dubitative.

— Ouais, ça doit être ça, répond-il en se grattant la tête. Coco m'a dit que vous viendriez à ma petite soirée samedi. J'en organise une chaque week-end. Tu verras, tout le lycée y sera, c'est super sympa !

Je voudrais lui dire que les soirées ne sont pas vraiment mon truc, mais il semble trop enthousiaste pour que j'ose le faire. Je lui souris donc en retour. Alessandro n'a pas l'air aussi intimidant que je le pensais. Étrangement, il ne semble pas non plus hautain.

— Dis, tout à l'heure je t'ai vu à la cantine.

— Ah, ça... Thomas est un vrai trou du cul, souffle-t-il.

Il ramasse une pierre à ses pieds et la lance à nouveau dans le lac.

— Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

Alessandro plonge son regard dans le vide, comme s'il pesait ses mots.

— Oh... c'est juste... Tu sais, c'est pas parce qu'on se connaît tous ici qu'on est forcément en bon terme. Pour faire court, cet idiot de Fertinton appartient à une autre "bande" que la mienne. Fin ça n'empêche pas ce guignol de venir squatter mes soirées...

— Bande ? Ça fait très gang de dealers, plaisanté-je.

— On n'a pas ça chez nous, s'esclaffe Alessandro.

— C'est vrai, ici vous êtes plus du style à jeter des chaises sur les autres. Surtout toi.

— Ah non, ça, c'est pas moi, c'est Ez...

Alessandro s'interrompt brutalement alors que ses yeux s'écarquillent subitement. Le silence qui suit est presque palpable. Il vient de se trahir. Ses lèvres se pincent, et il tente de se rattraper, mais c'est déjà trop tard.

— Enfin... je veux dire... c'était pas intentionnel. D'habitude, je suis pas comme ça, mais là, il m'a vraiment poussé à bout.

— Tu voulais pas plutôt dire Ezéchiel ?

— Non, pas du tout. Eze s'est juste interposé. On est allés un peu trop loin avec Thomas, et quand j'ai balancé la chaise, je crois que Monsieur le prez' était pas très content. J'suis content d'avoir évité le conseil de discipline s'tu veux mon avis.

Je pourrais presque le croire, si son visage n'était pas devenu cramoisi et si ses mots ne trébuchaient pas les uns sur les autres.

— Tu sais, t'as pas besoin de mentir. Je l'ai vu faire voler la chaise. J'arrive même pas à y croire tant c'est... bizarre.

Alessandro se lève, brusquement embarrassé. Je m'en veux presque de l'avoir mis dans cet état, étant donné qu'hormis Coco, c'est le seul qui m'a témoigné un peu d'amicalité. Ou qui est simplement venu vers moi.

— Mais non, dit-il en s'esclaffant un peu trop fort. Eze n'a pas de pouvoirs magiques ou je ne sais quoi. Ou si. Il en a un. Celui d'être putain d'effrayant quand il est énervé. Je te jure, son regard suffit à faire dans son froc.

Alessandro me lance un grand sourire et, sans me laisser le temps de répondre, remonte la berge à toute vitesse.

— Je vais être en retard. On se voit demain, la nouvelle !

Il s'éclipse en trottinant, tandis qu'une seule question tourne en boucle dans ma tête : où est-ce que j'ai atterri ?

Lac troubleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant