Chapitre 5

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     Les cours ne commencent dans une trentaine de minutes, pourtant le lycée est déjà bondé. Debout devant mon casier, je m'efforce d'organiser mes affaires. Ce qui est difficile même en tentant de faire abstraction des regards curieux. Ils sont moins insistants qu'hier, mais toujours présents. Peut-être que d'ici une semaine, la petite centaine d'élèves de Taurus se lassera de fixer la "nouvelle" et trouvera une autre distraction.

Je jette un œil au dernier message de Coco et soupire. Elle s'est réveillée plus tard que prévu et sera en retard. Ce qui me laisse deux options : tenter de faire connaissance avec d'autres élèves - ce qui ne m'enchante pas vraiment - ou trouver un coin tranquille pour patienter jusqu'à ce que la cloche retentisse. Je choisis sans hésiter la deuxième option. Je n'ai exploré qu'une infime partie du lycée, et ce serait une bonne occasion de découvrir la bibliothèque ou un jardin caché. Vu la taille du bâtiment, il ne doit pas en manquer...

Je me fraye un chemin à travers la foule d'élèves qui se disperse peu à peu. plus je m'éloigne dans l'aile sud, plus les couloirs silencieux. Jusqu'à ce que je tombe sur une salle de classe déserte. Ce n'est peut-être pas l'endroit idéal, mais elle a un atout irrésistible : quatre canapés moelleux se faisant face.

Un sourire éclaire mon visage. Sans réfléchir, je m'élance vers l'un des canapés, celui dont le dossier me cache encore le dessus, prête à m'y affaler. Mais au lieu de plonger dans les coussins, je me retrouve à moitié étouffée par la dureté du carrelage. Un petit cri de surprise m'échappe alors que je tombe lourdement sur le sol.

Aïe.

Je me redresse, abasourdie, pour découvrir deux longues jambes étendues sur le canapé. Je n'avais pas vu leur propriétaire à cause du dossier. J'ai sauté sur quelqu'un, et ce quelqu'un, plus réactif que moi, m'a envoyé valser sur le tapis. Je sens mes joues virer cramoisie alors que je bégaie, complétement honteuse. Je tente de m'excuser mais aucun mot ne sort de manière cohérente. Pire encore, lorsque je lève la tête pour affronter le regard de l'inconnu, mes mots restent bloqués dans ma gorge lorsque mes yeux rencontrent les siens, deux perles bleues aussi belles que profondes.

Dire que ce type est beau serait une insulte à sa beauté. Il est tout simplement... indescriptible. Ses cheveux noirs, épais et légèrement ondulés, encadrent un visage aux traits anguleux, terriblement séduisant. Quelques grains de beauté parsèment sa peau, dont un sous son œil droit qui adouci à peine son expression.

Allongé nonchalamment sur le canapé, il me jauge avec curiosité et ce que je décele être une pointe de moquerie. Son sourire n'a rien d'accueillant. Il ne porte pas l'uniforme du lycée, mais un col roulé sombre et un chino beige qui, je dois l'admettre, lui vont à ravir. Coco m'avait prévenue : dans ce lycée, il y a de quoi se rincer l'œil. Et celui-là, c'est la cerise sur la rétine.

— Dégage.

C'est la douche froide, mais je ne devrais pas être surprise. Après tout, il à l'air d'être un pur made in Brumelac; Diablement beau, incroyablement idiot.

— J'ai le droit d'aller où je veux, rétorqué-je sèchement.

Je m'installe confortablement sur le canapé en face du sien - celui-ci, j'ai vérifié, il n'y a personne - et sors mon téléphone pour m'occuper, même s'il est vraiment difficile d'ignorer son regard insistant sur moi. Après quelques minutes d'un silence tendu, je lève finalement les yeux vers lui, les bras croisés.

— Bon, qu'est-ce que tu veux ?

— Je te l'ai dit, dégage.

— Non, je suis bien ici. Si tu veux être seul, tu n'as qu'à te trouver une autre salle.

— Je ne parlais pas de ça.

Je reste stupéfaite. Lui, se redresse, s'assoit sur le canapé et continue de me fixer. Par moment ses sourcils se froncent et j'ai presque l'impression qu'il essaie de me sonder, de percer quelque chose en moi avec son regard, ce qui me met franchement mal à l'aise.

— Tu vas nous causer des problèmes en restant à Brumelac. Si tu veux un conseil, tire-toi avant qu'il ne soit trop tard.

Je reste silencieuse. Je ne sais pas quel est son problème, et honnêtement, je m'en fiche. S'il veut continuer à parler, libre à lui. Mais il ne m'intimidera pas. Il semble frustré par mon silence. Peut-être l'est-il vraiment  - il n'a probablement pas l'habitude qu'on l'ignore.

La porte s'ouvre brusquement sur un Ezéchiel visiblement en colère. Avant que j'aie le temps de réagir ou de répondre à l'autre idiot, Ezéchiel se plante devant lui.

— T'es exclu jusqu'à lundi, Damien. T'as rien à faire ici.

Je manque de m'étouffer. Alors c'est lui, Damien ? Les avertissements de Coco résonnent dans ma tête : "Ne t'approche pas de lui, c'est un taré." 

Oui. Ça commence à faire sens.

Damien se lève, les mains levées en signe de reddition, un sourire moqueur aux lèvres. Ezéchiel, quant à lui, semble prêt à le tuer du regard.

— Je faisais que passer, je m'ennuyais, dit Damien avec désinvolture.

— Ce n'est pas mon problème, va t'ennuyer ailleurs. Et toi, ajoute Ezéchiel en me lançant un regard tout aussi sévère, c'est la salle du Conseil des élèves. Sors d'ici tout de suite.

— Il n'y avait pas de panneau pour... tenté-je de me défendre, mais Ezéchiel me coupe net.

— Sors. Maintenant, ordonne-t-il, tandis que Damien affiche un sourire narquois.

Sans demander mon reste, je quitte la salle en trottinant, consciente qu'il vaut mieux ne pas envenimer les choses avec Ezéchiel. Il semble déjà m'avoir dans le collimateur.

     À peine ai-je fait quelques pas hors de la salle que ma tête se met subitemment à tourner. Une chaleur insupportable envahit mon corps, comme si je brûlais de l'intérieur. Une quinte de toux incontrôlable m'échappe. Je me dirige instinctivement vers le mur le plus proche pour m'y appuyer, mais pas assez rapide, mes jambes cèdent sous moi. J'ai l'impression qu'une partie de moi s'échappe, comme si elle m'était arrachée de force — une part de mon être dont je n'avais jamais eu conscience jusqu'à maintenant. Un vide immense se creuse en moi, là où il y avait autrefois... autre chose.

Dans un ultime éclat de lucidité, j'aperçois le visage d'Ezéchiel, marqué par l'inquiétude, juste avant que l'obscurité ne m'engloutisse complètement.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 08, 2024 ⏰

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