Mon premier cours s'est déroulé de manière... étrange. Le professeur d'histoire est arrivé trente minutes en retard sans même s'excuser, et a commencé son cours d'une voix morne, sans que le moindre élève ne fasse attention à lui. Pire encore, la plupart des élèves s'amusaient à chanter à tue-tête sans que le professeur ne daigne leur dire quoi que ce soit.
Je ne sais pas où je suis tombée, mais de toute évidence, l'année va être longue.
Je me dépêche de sortir mon téléphone pour envoyer un message à Coco. Pour l'instant, c'est la seule personne à laquelle j'ai envie de parler ici. Elle me répond presque immédiatement, ce qui me soulage, et le temps que je range mes affaires - un stylo et un carnet... vide de toutes notes -, elle m'attend déjà devant la porte, un grand sourire plaqué sur le visage.
— Je suis trop contente que tu m'aies envoyé un message ! s'exclame-t-elle avec un grand sourire. J'avais peur d'être un peu trop... disons... bizarre ? Ou carrément terrifiante ?
— Si tu veux mon avis, tu es ce qui se fait de plus normal dans ce lycée... et c'est un compliment !
Coco s'esclaffe et m'attrape par le bras pour me tirer à elle.
— Oh là là, toi t'as passé une matinée spéciale ! Au nom de Taurus, je m'excuse. On est un peu... enfin c'est Brumelac, quoi.
— J'ai déjà noté deux choses dans mon bloc-notes des bizzareries de Taurus : les élèves qui se mettent à chanter en plein cours et le beau gosse du lycée qui m'a donné un avertissement après une conversation de trois mots. Et encore, je suis sympa.
Coco s'esclaffe mais ne peut s'empêcher de froncer les sourcils, faisant mine de réfléchir.
— Quel beau gosse ? Le bon côté des choses ici, c'est qu'on a de quoi se rincer l'œil.
— Ézéchiel. Grand, brun, athlétique, aussi aimable qu'une porte de prison.
— Oh Ézéchiel ! Je vais devoir te démentir. Il est assez cool. Major de promo, président du conseil des élèves. L'école, c'est un peu comme sa deuxième maison. Il traite tout le monde comme sa famille, dit-elle des étoiles plein les yeux.
— Ah ouais ? Eh bien, on dirait qu'il a pas bien reçu le memo me concernant, bougonné-je en attrapant mon plateau dans la cantine bondée.
— T'en fais pas, tu verras, il n'est pas méchant. Il faut juste que tu t'intègres un peu.
Je ne suis pas convaincue, mais elle a l'air de vraiment tenir à lui, alors je ne dirai rien. Enfin pour le moment.
Coco et moi nous installons à une table vide, nos plateaux devant nous. La jeune adolescente commence à parler, et c'est un véritable déluge de mots. En quelques minutes, j'ai appris qu'elle est née ici - incroyable, je sais ! - qu'elle n'a jamais quitté Brumelac, que les meilleures fêtes du coin se font chez Alessandro, et que ses parents ont décidé de se prendre pour la famille Addams. Tout ça en moins de temps qu'il ne m'en faut pour finir ma première bouchée !
Alors que ma nouvelle amie me parle maintenant de son aversion pour les petits pois que sa mère la forçait à manger, un bruit fracassant retentit, coupant court à toutes les discussions dans la cantine. Je lève la tête de mon steack et mes yeux s'écarquillent devant la scène qui se déroule à quelques mètres de moi.
Une bagarre éclate entre deux élèves : un brun à la peau halée et au sourire suffisant, et un grand blond à l'allure dégingandée. Le visage de celui-ci est déformé par la colère et il semble prêt à en découdre. Les chaises s'écrasent au sol dans un vacarme assourdissant, et des cris fusent. À ma grande surprise, les autres étudiants ne semblent pas vraiment intéressés et se remettent à discuter joyeusement, comme si ce genre de scène était monnaie courante. Je reste figée, stupéfaite, alors que les adultes présents s'éloignent discrètement. Je prie en silence pour qu'ils aillent chercher de l'aide, car je n'ai aucune envie de me prendre une table perdue en pleine tête. Le blondinet, visiblement déchaîné, frappe l'autre avec force. Il ressemble vraiment à un sauvageon, et l'espace d'un instant, je crains qu'il ne tue le brun tant il semble en furie.
Et puis, alors que je pense que ma journée ne peut pas être pire, je vois une chaise, renversée plus tôt, se redresser toute seule. Elle flotte dans les airs, comme tirée par des ficelles invisibles. Mon souffle se coupe. Un peu plus loin, j'aperçois Ézéchiel agiter sa main, presque imperceptiblement, et j'ai, l'espace d'un instant, l'impression que c'est lui qui contrôle la chaise. Une ombre sombre et fluide semble se tordre sous ses doigts, guidant la chaise vers le blond enragé. Avant que celui-ci ne puisse porter un nouveau coup, la chaise le percute en pleine poitrine et le fait reculer de plusieurs pas. Il s'arrête net, l'air complètement dérouté.
Je cligne des yeux, incapable de croire ce que je viens de voir. Avant que je ne puisse vraiment réagir, Ézéchiel s'avance calmement, son visage fermé et autoritaire. Il se place entre les deux garçons, ce qui fait son petit effet. Le brun baisse les yeux, mal à l'aise, tandis que le blond, toujours sous le choc, bredouille quelques excuses. En quelques secondes, la tension retombe, et les deux bagarreurs s'éclipsent, la queue entre les jambes.
Je reste là, bouche bée, tandis qu'Ézéchiel récupère tranquillement sa place.
— T'as vu ce que j'ai vu, là ?!
Je fixe Coco, encore sous le choc, mon cœur bat à tout rompre. Mon esprit s'emballe, j'essaie de trouver une explication rationnelle, mais aucune ne tient vraiment la route.
— Ah ouais... Désolée pour ça, souffle-t-elle en haussant les épaules, un peu gênée. T'arrives vraiment pas au meilleur des moments...
— Parce qu'il y a des moments plus propices pour que des chaises volent par télépathie ?
Coco cligne des yeux.
— Hein ?
— Je viens de voir Ézéchiel faire voler une chaise entre deux types !
— T'as dû rêver, me coupe Coco, sceptique. C'est Alessandro qui a balancé la chaise sur Thomas. Tu sais, celui qui organise les soirées de dingue ? D'ailleurs, samedi, y'en a une... dit-elle en fouillant nerveusement dans sa veste pour attraper son téléphone, les doigts tremblotants. Je vais lui demander...
— Coco, je t'assure qu'Ézéchiel a fait un truc avec ses mains, et la chaise qui était à l'autre bout de la pièce a volé toute seule !
Coco détourne le regard, clairement mal à l'aise. Elle se mordille la lèvre, évitant mon regard, et je commence à douter. Peut-être qu'elle me prend pour une folle, ou peut-être que je suis en train de perdre la tête. Entre ça et le cri d'hier... c'est beaucoup trop en 24 heures.
— Les bagarres arrivent souvent ici, tente Coco avec un sourire forcé. Faut pas trop t'en formaliser. Et crois-moi, c'est bien pire quand Damien est dans les parages.
— Damien ?
— S'il y a bien une personne dont il ne faut pas s'approcher à Brumelac, c'est ce taré de Damien.
J'ai une multitude de questions à lui poser, mais malheureusement, c'est le moment que la sonnerie choisit pour tout interrompre. Coco peste et se lève rapidement, non sans me promettre de m'attendre à la fin des cours. Je récupère rapidement mon sac et mon plateau que je dépose avant de me précipiter à travers la cantine. Si Coco n'a rien vu, autant aller parler au principal concerné. J'essaie de rattraper Ézéchiel qui s'éloigne rapidement. Je crie son nom, espérant qu'il m'entende au milieu du brouhaha ambiant. Il se tourne finalement vers moi, un sourcil légèrement levé. Je tente de reprendre mon souffle et me maudis d'avoir arrêté l'athlétisme.
— Qu'est-ce que tu veux ? demande-t-il d'un ton froid.
Ce mec est juste flippant. Surtout, ne pas fâcher la bête et tout se passera bien.
— Comment t'as fait ?
— De quoi tu parles ? me demande-t-il, cette fois agacé.
Changement de tactique. Je lui lance le même regard courroucé et croise les bras fermement sur mon buste.
— Tu as fait voler la chaise. Comment t'as fait ?
Je prends le temps de bien détacher chaque syllabe, mais à ma grande surprise, Ézéchiel éclate de rire.
— On nous a ramené un sacré numéro à Taurus.
Sans attendre ma réponse, il part et me laisse plantée là. Abattue.
C'est confirmé, je vais passer pour la cinglée de service.
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Lac trouble
ParanormalCléo pensait que déménager à Brumelac, petite ville isolée au Canada, serait d'un ennui mortel. Mais quand des chaises se mettent à voler par l'opération du Saint-Esprit et qu'une série de meurtres secoue la ville, ses pertes de mémoire la poussent...