Chapitre 4

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Dix jours s'étaient écoulés et chacun, chacune faisait ses propres bilans. Cela faisait à présent près d'un mois que Tarkani avait mis le pied dans les Anneaux, vingt-sept jours très précisément.

Khizan faisait face à une nette problématique d'empilement de terrariums dans l'infirmerie-laboratoire. Son amie était passionnée, passionnante. Elle avait chaque jour davantage de questions, multipliées par celles des innombrables enfants qui s'incrustaient dans ses séances et celles de ses deux amis, Rala et Iloïo, qui n'en avaient pas moins. Le forestier se levait aux aurores pour ramener de quoi satisfaire l'appétit de connaissance de cette petite audience, en se demandant si Tarkani n'était pas en train de lui soutirer progressivement ce qu'il lui avait d'abord dénié : la possibilité de l'aider dans son autonomie dans la jungle... elle, et une partie de la jeune génération des robes vert clair. Il jetait des coups d'œil de côté vers ses ainés qui ne semblaient rien noter de spécial, puis haussait les épaules en souriant. Il avait également dû déplacer les entrainements « animaux » dans la salle d'armes, car l'amplitude et la variété de réactions de la guerrière d'Ouzo, la beauté de son maniement de Ba-Lia face aux projections des cubes qu'il animait de sa magie, nécessitaient de l'espace. En dix jours, ces entrainements étaient devenus une attraction : Tarkani avait son public, fidèle, et en attirait davantage chaque jour. Khizan avait dû limiter à trente le nombre de spectateurs, argüant que les murs de la salle n'étaient pas extensibles. Des files d'attente commençaient à se former plus de cinq saärs avec les horaires supposés du tandem, qui fuitaient toujours, malgré les tentatives de discrétion du forestier. Et il se trouvait toujours une dizaine d'enfants pour filouter les quotas de l'imposant jeune forestier et se glisser dans la salle au motif qu'iels étaient, elles et eux aussi, les ami·es de Tarkani-ji.

De son côté, Tarkani avait cherché à rejoindre l'équipe des forgerons – utiliser la forge la démangeait. Cependant, au bureau des équipes, on l'avait poliment, mais fermement éconduite. La forge s'utilisait en solitaire, lui avait-on expliqué, sauf lorsque de grosses réparations nécessitaient un travail d'équipe ; or le barrage du Relai-sous-mur avait été réparé le mois passé et il n'y avait aucun chantier en cours dans les Anneaux. C'était d'ailleurs pire que cela : la forge avait été inspectée récemment et un défaut dans le système de ventilation y avait été détecté. Elle avait donc été mise à l'arrêt, dans l'attente de pouvoir dégager une équipe pour régler ce problème – cela devait intervenir d'ici peu et oui, on la préviendrait. Mais « d'ici peu » à Zchinræ pouvait signifier « demain » comme « dans trois semaines ». En attendant, Tarkani passait son énergie dans ses entrainements de jungle. Le soir, elle repassait ses routines d'armes pour ne pas perdre la main. Chaque fois, elle se laissait absorber par la beauté des couchers de Bethel tandis que son sabre volait. Chaque fois, elle se sentait épiée ; et chaque fois, l'ombre verte qui l'observait avait disparu avant qu'elle ne la localise.

Quant à Halimé, la Grande Maitre, elle scrutait les rapports des équipes en fronçant les sourcils, dans l'intimité de son bureau. Les feuillets ne faisaient que confirmer ce qu'elle avait elle-même observé : l'indéniable efficacité de la Princesse d'Ouzo dans toutes les taches collectives où elle était engagée. L'équipe lingère était aux anges, celle de la régulation du système de distribution d'eau ne tarissait pas d'éloges, et c'était sans parler de celles de l'entretien des sceaux. Les bains forestiers rutilaient comme jamais et la bibliothèque centrale s'enrichissait chaque jour de cubes mémoriels consacrés à des études approfondies de jeux comparés dans les Sept Mondes Reliés. D'après les forestiers, l'adaptation de Tarkani aux dangers impitoyables de la jungle était fulgurante – au moins autant que la rumeur qui voulait que le jeune Khizan ait le béguin pour la Princesse, ce qu'Aash démentait pourtant formellement. Tarkani-ji était prête pour une sortie à l'extérieur, et elle demandait à être placée dans l'équipe de son ami en vert sombre. Halimé ne pouvait ignorer la superbe adaptation zchrinraân de sa disciple ouzote, pas plus qu'elle ne pouvait faire abstraction de l'impressionnante régularité avec laquelle cette dernière avait évité littéralement tous les rendez-vous d'études ou de pratique politique que la Grande Maitre lui avait fixé dans les jours qui venaient de s'écouler. Une grimace effleura les lèvres de la Grande Maitre de vingt-cinq ans à l'évocation mentale de la récente débâcle de la barrière magique. L'escalier menant aux quartiers des passeuses appartenait à la catégorie des structures aussi peu utilisées qu'incontournables, voire vitales, dans les Anneaux. Ne disposant pas de la qualité d'éclairage de l'escalier du haut, il était particulièrement dangereux. Halimé redoutait chaque jour que l'on ne lui annonce un accident. Ses nuits étaient hantées de l'angoisse de perdre un enfant en vert clair à l'intérieur des Anneaux, en plus de celles et ceux que l'on perdait au-dehors, et elle en faisait porter la responsabilité à l'Ouzote. Aash, que Tarkani faisait toujours rire, sentait sa Grande Maitre se tendre de jour en jour et se trouvait démunie pour l'adoucir. Si Tarkani ne se remettait pas rapidement dans le droit chemin du leadeurship, cela n'augurait rien de bon pour les relations des années à venir avec Ouzo.

La forgeronne qui voulait entendre l'Univers sourire.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant