Chapitre 1 - Riley

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VOCABULAIRE :
Plat-bord : Rebord supérieur de la coque ceinturant le pont.
Bollard : Bitte métallique utile à l'amarrage des bateaux dans un port.


2015 - Polson - État du Montana

— Merci, Chandra, dis-je à la jeune caissière de la supérette.

D'une main, je refermai le couvercle des glacières qui maintiendraient mes vivres au frais, le temps de mon retour chez moi.

Chez moi ? Un magnifique chalet tout juste achevé qui trônait au bord de l'eau, sur l'île de Melita. Îlot coupé du monde, dressé à six milles nautiques de la côte, au large du village de Big Arm, au milieu des flots du lac Flathead. Une vingtaine de kilomètres et de minutes séparaient les deux bourgades, auxquels s'ajoutait le trajet en bateau.

— Tu es un amour, continuai-je. Sans toi, je n'aurais jamais pu trouver tout ce que je cherchais dans un délai aussi court et j'aurais fait attendre Bob.

La jeune femme, rencontrée et appréciée au fil de mes achats, s'était proposée pour me donner un coup de main, ce qui m'avait évité d'errer dans les rayons. En contrepartie, je lui avait proposé de la raccompagner.

— Je t'ai donc sauvé la vie, s'exclama-t-elle, me regardant contrôler la fermeture de chacun des bacs réfrigérés. Tout le monde sait qu'on ne doit pas faire poireauter le vieux Bob.

— Alors que lui ne s'en prive pas, renchéris-je, terminant cette phrase répétée à tout-va dans la région.

Des rires complices nous secouèrent. Une fois ressaisi, j'ajoutai :

— D'ailleurs, il serait temps que je charge la voiture, sinon l'avance que j'ai gagnée grâce à toi sera perdue.

— Tu reçois du monde ? demanda-t-elle, timide. C'est la première fois que je te vois constituer un ravitaillement si important.

Délaissant l'amoncellement de paquets qui trônait à mes pieds, n'attendant que de rejoindre le coffre de ma Chevrolet Impala, je relevai la tête et surpris son regard posé sur moi. Elle rougit en comprenant que j'avais pris conscience de son attention persistante. Ses coups d'œil curieux témoignaient aussi d'une évidente appréhension.

Un moment, je fus triste pour elle, mesurant ses faux espoirs. Certes, j'étais libre comme l'air, mais elle manquait de testostérone et avait beaucoup trop de poitrine pour correspondre à mes goûts.

Je savais qu'à notre arrivée dans la région, des rumeurs sur le potentiel couple que je formais avec Greyson avaient secoué et divisé Big Arm, qui comptait à peine cent cinquante habitants. Les trois quarts de la population voyaient en nous des amants en train de se construire un nid d'amour.

Pourtant, la collectionnite aiguë de Greyson en matière de femmes avait très vite fait taire les commérages. Sans surprise, il n'avait pu se retenir de tester les spécialités locales. Tests invariablement trop brefs pour ses conquêtes, trop rustiques pour monsieur. Il les préférait plus féminines, moins travailleuses aussi. Disponibles dès qu'il claquait des doigts en somme.

Désormais, à leurs yeux, nous n'étions plus que deux très bons amis profitant de leurs congés pour édifier une garçonnière.

Comme j'étais plus discret et moins volage, j'ignorais les conclusions me concernant. J'avais certainement entretenu le doute avec mon célibat. Mais qu'importe, c'était mon cœur, ma vie, mon jardin secret. J'avais toujours été réservé à ce sujet. Une habitude acquise face aux trop nombreux jugements récoltés durant mon adolescence. Greyson était l'un des rares à être passé outre, raison pour laquelle notre amitié perdurait et m'était essentielle.

La Prunelle de mes yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant