Prologue - Greyson

89 10 3
                                    

1998 – Clementville High School – État de Washington

Bon sang ! Qu'est-ce qu'elle fout ?

Je m'impatientais, agacé de l'attendre depuis si longtemps à l'arrière du bâtiment principal, dans ce recoin isolé du lycée. Adossé à l'un des murs, les mains au fond des poches, je me demandais encore pourquoi elle avait voulu qu'on se retrouve ici. Non, je savais très bien pourquoi. Avec ma belle gueule, c'était évident. Mais ici ? Vraiment ?

Le peu de fréquentation que connaissait cette petite arrière-cour, n'avait rien d'attirant. C'était la zone, le terrain de jeu des brutes, la boutique des apprentis dealers. Un territoire marqué par une forte odeur d'urine, charriée par la légère brise du jour.

Je grimaçai de dégoût. Même pour une nana, aussi sexy soit-elle, je n'étais pas prêt à supporter cela. Alors que je commençais à me diriger vers la cour, au centre de l'établissement, des rires mauvais facilement reconnaissables me figèrent sur place. Ma réaction n'était en rien guidée par la peur, mais plutôt par un instinct de conservation affuté durant mes premières années de lycée. Je préférais éviter d'affronter seul cette bande de cons, surtout quand je les entendais se réjouir de la sorte. Quelque chose se tramait. Quelque chose dont il valait mieux que je ne me mêle pas si je comptais m'en sortir sans la moindre égratignure.

Pour éviter d'être vu, je me plaquai dans le renfoncement d'une porte vitrée, dos au carreau. Ainsi tapi, je tendis l'oreille, curieux malgré mes intentions d'un peu plus tôt.

Un bruit de chahut résonna, précédant de peu celui, plus sourd, d'un corps qui chute. D'instinct, tous mes muscles se raidirent, prêts à bondir. Pourtant, parfaitement immobile, le souffle en suspens, j'attendis qu'un gémissement suive. En vain. Soit leur victime était déjà dans les vapes, soit elle avait l'intelligence de ne pas se plaindre.

— C'est tout ? questionna une voix masculine moqueuse. C'est tout ce que tu as dans le ventre, tafiole ? Moi qui pensais que tu étais pourvu d'un peu plus de couilles que les ratés dans ton genre... C'est d'un ennui !

— Allez, R.J. Vu que ce ringard est à genoux, autant qu'on se serve de lui pour vérifier quelques théories, tu ne crois pas ? réclama un second gars.

Privé de mes yeux, j'écoutais, attentif à la moindre respiration pour tenter de deviner le nombre exact de crétins qu'il me faudrait exploser si ça se poursuivait aussi mal que la discussion le laissait présager.

— Carrément ! répliqua le fameux R.J. Il va nous goûter, tous les trois, les uns après les autres. Puisqu'il paraît que les pédés font les meilleures pipes, profitons-en pour prendre notre pied, étant donné qu'il aime ça, le minable. Immobilisez-le bien !

Il marqua une pause avant de s'adresser à sa cible :

— Et toi, ouvre la bouche et sois sage. Mieux tu me suces, plus tu as de chances de repartir sur tes pieds plutôt que sur un brancard.

Un son de fermeture Éclair retentit, véritable sonnette d'alarme à l'intérieur de ma tête. J'imaginais sans mal la scène écœurante qu'ils s'apprêtaient à jouer. Mon estomac se tordit, le dégoût me vrillait le ventre. Pas foutu d'assumer son homosexualité refoulée, ce mec avait rameuté des copains afin de la faire passer pour de l'homophobie. Ma répulsion face à tant de lâcheté balaya ma retenue et déjà mes poings se contractaient, plus que prêts pour le combat, ignorant mes résolutions passées.

— C'est quoi ce bruit ? interrogea celui que je n'avais pas encore entendu.

Comme eux tous, devenus muets, je cherchai à déterminer à quoi il faisait allusion. Ce fut alors que je réalisai que ce bruit était ma respiration qui sifflait entre mes dents serrées, grinçantes sous l'emprise de ma colère. Sachant que c'était maintenant ou jamais, je m'élançai hors de ma cachette, jouant sur l'effet de surprise dont je bénéficiais.

La Prunelle de mes yeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant