la séparation des corps n'existe pas

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dans les livres, il est souvent question de séparation, de la séparation des corps, de la mort sûrement. j’ai peur de cette séparation, de l’absence. j’ai peur des spectres qui se balancent autour de moi, qui me regardent sur les photos. j’ai peur que plus rien n'existe, que tout disparaisse. j’ai peur de perdre mes sentiments, de les laisser dans le passé et puis de devenir quelqu’un d’autre. j’ai peur de ne plus savoir aimer, de m’abandonner à d’autres et d’en oublier qui je suis. j’ai peur de la séparation de moi-même qui survient quand je me déteste. 
pourtant, je ne veux pas me faire absence, je ne veux pas devenir fantôme ou mirage. je ne veux pas d’une quelconque séparation. 

même mon corps ne mérite pas la séparation de lui-même ; je ne le déteste pas assez pour cela. je ne lui souhaite pas un déchirement de lui-même, une chose qui semble atroce. mon corps, même si je n’arrive pas toujours à le voir, connaît la grâce des étés et la douceur des amours. mon corps est troublé devant les autres, devant leurs corps et ne peut connaître cette séparation dure et douloureuse.
mon corps veut aimer. mon corps veut être aimé. je le sens au plus profond de moi, ce besoin viscéral qui se détache de tout, qui est juste là, puissant dans ses propres faiblesses. je veux mon corps sensible face aux corps des autres, de cet autre, celui qui est un peu moi. je veux mon corps à travers les autres, ancré un instant dans le réel, dans ce monde qui grouille et ne sait jamais s’arrêter. je veux la vie alentour partout dans mon corps. 

aucune séparation ne peut venir troubler cette volonté intime, infime parfois. rien ne peut effacer les mots d’autrefois, et encore moins ceux que je n’ai pas encore écrits, je veux le croire avec force et conviction. 
je veux de l’amour dans l’air, sur les peaux, dans la moiteur des corps qui ne connaissent plus aucune défense, plus aucune barrière. je ne veux pas de l’absence du monde, l’absence des autres et de moi-même. 

je suis effrayé.e par ce mot, absence. j’aime comment il sonne mais je hais le goût qu’il laisse, une chose inachevée, bâclée. j’aimerai aimer pour l’éternité. j’aimerai que cette impuissance des corps soit possible, je ne demande que cela. je ne veux aucune séparation, plus aucune envie de disparition.
maintenant je veux rester. je veux prendre dans mes bras fragiles, frêles, fatigués, tous les corps qui veulent y rester, y passer. je veux sentir contre moi, contre mes cuisses, mon ventre, ma mâchoire, mes seins, ma poitrine, mon corps tout entier, la présence de tous les autres ; des gens qui comptent. 
je veux effacer cette détestation de moi-même, la brûler et laisser ses cendres s’envoler, se perdre là où je ne peux aller. 

je suis effrayé.e par l’absence, je ne veux pas que ma vie lui ressemble. je ne veux pas être absent.e de moi-même, de ma propre existence. je ne veux pas connaître l’absence des autres, des corps qui parfois s’endorment près de moi, ou exister tout simplement à mes côtés. je ne veux pas être absent.e des autres, des bouleversements de leurs existences ou de leurs corps. je ne veux plus me tenir loin des autres, en retrait, caché.e derrière la détestation de moi-même. 
je ne veux plus rien oublier, je ne veux plus m’oublier, me faire disparaître parce qu’il y a quelque chose dans l’oubli qui m’effraie plus que tout au monde : l’absence. 

mon corps est impuissant, incapable d’exister parfois mais, par dessus tout, je veux croire qu’il est incapable de l’absence. 

fermer les yeux sur l'impuissance des corpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant