tout est dans les mots ; tout y reste

26 7 2
                                    

on me demande souvent ce que j'écris. moi, je me demande plutôt pourquoi j'écris. 
cette nécessité que j'ai, cette violence qui s'empare de moi pour écrire, je me demande d'où elles viennent, pourquoi elles sont là. pourquoi chez moi, pourquoi comme ça ? c'est insensé l'écriture, ça ne tient à rien et pourtant ça veut tout dire. 

je dis souvent que tout est dans les mots, que tout y reste mais je ne sais pas si ce tout est suffisant. peut-être que je pourrai dire plus, dire mieux, dire ce que ne se dit pas. c'est pour cela que je veux écrire sur les corps. je veux garder une trace du passage d'un corps à côté de moi, de l'éphémère qui découle de ce passage. dans l'écriture des corps, il y a des rituels et des habitudes, des choses dont l'on ne se défait pas.
je suis familièr.e aux corps, je leur offre mes mots, leur voue mon existence toute entière car il n'y a rien de plus beau que de voir le corps qui prend vie sous mes doigts, dans la tête, aussi simplement que s'il se mouvait. j'éprouve une satisfaction considérable dans le fait de redonner vie aux corps que j'ai laissé mourir dans l'oubli. je me sens autre, je me sens puissant.e. dans l'écriture, je me sens utile. 

c'est pour cela, sans doute, que je protège mes mots, que je ne les donne pas à voir à celleux qui ne les comprendraient pas. mes mots suscitent l'incompréhension, demandent l'incompréhensible alors je les ménage dans cette quête de l'impossible. tout reste dans mes mots parce que je l'ai décidé, parce que j'ai la volonté d'écrire tout ce que je veux qu'il reste de ma vie. 
je veux offrir des souffles nouveaux à ce qui a disparu, ce qui va disparaître. un corps finit toujours par être témoin de sa propre disparition, en est même parfois l'auteur, alors je m'empresse de tous les écrire afin de n'en voir aucun mourir. il m'arrive de vouloir oublier mon corps alors je me refuse à l'oubli de tous les autres.

il n'est pas aisé, pas commun de voir des corps mourir, de les voir s'abandonner à l'oubli, cela semble même impossible quelques fois. mais pourtant chaque corps rêve soudainement à sa future disparition, dans la moiteur des draps froissés et usés par le manque de sommeil. penser à sa disparition, n'est-ce pas déjà disparaître ?
je veux croire qu'il est possible d'écrire cette disparition afin de la faire disparaître. je m'attache aux croyances d'un monde de mots, un monde où tout a le pouvoir de devenir autre. 

les corps, ça demande de la préoccupation, de l'attention. les corps, c'est toujours là, même dans le sommeil ou dans les sentiments. c'est là surtout quand on n'en veut pas, quand on n'en veut plus, quand c'est trop dur à supporter. un corps, c'est là pour le pire, pour ce qui rate, pour la haine et le dégoût. mais ça connaît aussi des jours heureux, des soleils et des fleurs. les corps, peut-être que ça fait de nous ce qu'on est pas. mais parfois ça nous donne la possibilité, la seule et l'unique, d'être qui on est, sans bavure et sans tourments.

c'est par les mots, je le crois avec ferveur, que les corps prennent toute leur ampleur. ils deviennent alors quelqu'un, s'inscrivent dans une réalité qui auparavant les emprisonnait. les corps sont forts d'être eux-mêmes et de persister dans leur élan d'identité. je veux rendre les corps vivants, les détacher de leur état de futur cadavre, de l'envie de meurtre, de mort, qu'ils ont pour eux-mêmes. je veux rendre les artistes, les gens vivants. c'est à travers cette épreuve, cette volonté sans faille de l'âme, que je parviens à vivre à mon tour. mon existence tient parfois dans l'existence du corps des autres, dans le rayonnement que j'éprouve à leur passage et que je laisse grandir sur le papier.

un corps, c'est fait pour vivre alors il faut faire le deuil de ses impossibilités et de ses errances. les échecs d'un corps ne valent rien par rapport à l'éblouissement dont ils sont capables. je me dis que mon corps existe peut-être par les mots d'un.e autre, ou qu'il viendra un jour le temps de son existence quelque part. rien ne presse, les corps ne savent jamais réellement mourir. fermer les yeux sur l'impuissance de son corps peut prendre toute une vie, mais rien ne presse, le temps ne connaît pas sa fin. 

il y a longtemps, j'ai pris la décision d'écrire. ça c'est fait comme une évidence, sans même avoir conscience de toute la complexité de l'écriture. je la pensais peut-être protocolaire, figée même. mais, pour moi, en moi, elle n'est rien de tout ça. elle est un élan, une chose sur laquelle je n'ai aucun pouvoir - en tout cas, je pense. elle est ce qui ne se définit pas, ce qui n'a pas besoin d'être défini. je ne sais me passer de l'écriture, m'en sortir, m'en extraire même. je ne veux pas la laisser, je ne veux pas qu'elle m'abandonne, ne serait-ce qu'une seconde.  

j'ai décidé d'écrire. j'ai choisi de laisser l'écriture faire de moi ce qu'elle veut, elle s'impose à moi comme si je n'avais qu'elle. alors j'écris parce que je n'ai pas de corps ; j'écris parce que mes mots sont mon corps. 

fin

hey, j'espère que tu vas bien :)
tout d'abord, merci d'avoir lu, ça me touche beaucoup
j'ai eu l'idée d'écrire cette œuvre il y a quelques semaines, dysphorique et mal dans mon corps, dans ce que j'aimerai faire à travers lui et dont je suis incapable
finalement je n'ai pas écrit cette œuvre ah même moment, je l'ai écrite en ayant un avis, un point de vue assez neutre sur mon corps. mais j'ai essayé d'écrire au mieux ce que je peux ressentir quand il m'arrive de le détester

enfin bref,
je veux te faire que ton corps est magnifique, peu importe ce que tu en penses ou ce que n'en penses pas ; il est magnifique

merci encore d'avoir lu,
je te souhaite une belle journée/soirée/nuit :)

fau 🌻

fermer les yeux sur l'impuissance des corpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant