les étoiles sont dans le corps des autres

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parfois, je m’enfuis dans le corps des autres. je m’y enfouis même, cherchant une satisfaction que je n’ai jamais appris à connaître dans le mien. les corps des autres ont cette douceur dans laquelle je me réfugie comme si ma vie en dépendait. ils sont beaux. 
ils sont rayonnants, brillants dans les contrastes des peaux, des éclats et des sourires. j’aimerai me noyer dans les corps de tous les autres, sur les torses chauds, lumineux, dans les bras solides et rassurants. j’aimerai être l’un de ces corps, ceux qui sont capables de tout, même de faire disparaître tous leurs défauts. je veux rayonner moi, respirer dans la lumière des autres et puis la partager avec eux. je veux ce qu’iels sont, ce que je ne suis pas.
je veux la carrure, l’agilité, la grâce et la beauté que je vois en chacun.e. est-ce que quelqu’un voit quelque chose de semblable en moi ? 

j’existe si mal. je suis incapable de faire ce qui compte pour moi. ce sont les autres qui le font pour moi. iels me font rêver, vibrer, me laissent coincé.e dans cet espoir, dans cette envie folle et maladive d’être comme elleux un jour. mais je ne suis pas un.e artiste, je n’ai pas un corps fluide. alors je reste là, touché.e par l’incandescence des corps pour toute une vie. je n’oublie pas les artistes, je ne sais me défaire de leurs corps qui resplendissent, qui se peignent avec douceur sous les lumières.

j’aimerai pouvoir me tordre sous les couleurs, m’entourer de la musique, des autres, des cœurs qui battent tous ensemble. je veux les peaux moites qui se cherchent, qui brûlent de se rapprocher ainsi. j’aimerai cette proximité qu’il y a dans l’art, entre l’artiste et l'œuvre ou entre les artistes elleux-mêmes. je veux garder les artistes près de moi, faire de n’importe quelle personne un.e artiste ; juste parce qu’elle est belle, parce qu’elle a un corps qui n’est pas le mien. 

j’écris les artistes parce que leurs corps me réclament cet envahissement. je ressens l’écriture comme un devoir de mémoire ; il faut conserver les étoiles avant qu’elles ne s’éteignent. il faut les embrasser avant leur embrasement final, avant cet éclatement dans le ciel. il faut les caresser avant même qu’elles ne se complaisent dans l’idée de leur fin. les étoiles ne peuvent pas mourir. je ne le permettrai pas. alors, vainement, je me lance dans ce combat sans fin. c’est l'œuvre d’une vie que d’écrire les artistes et je suis prêt.e à y consacrer tout ce que j’ai. 
je ne suis rien sans ce que les artistes font de moi. en regardant leurs corps se mouvoir, en les contemplant exister, je deviens matière. je me livre à leurs mains, à leurs capacités et me conforte dans l’illusion de mes échecs. mon corps est un mirage alors j’erre dans le corps des autres, dans le souvenir qu’ils laissent en moi. 

j’aimerai vivre comme un.e artiste, vivre avec les artistes. je veux cet enrichissement sans fin que l’art dépose sur leurs corps. et, par-dessus tout, je réclame, je quémande même, l’ivresse qui découle des artistes, celle qui terrasse tout — qui me terrasse. les corps des autres sont des étoiles et je m’y accroche dans les ombres du désespoir, je m’y accroche parce que j’ai perdu mon propre corps. j’existe à travers les autres. je me réfugie alors dans leurs aspirations, dans leurs souffles et dans les lumières qui roulent sur leurs peaux. je suis incapable de les laisser partir, je les connais comme j’aimerai me connaître. 

j’ai tellement d’amour pour les artistes, une émotion viscérale qui ne s’explique pas et qui réside là où je ne suis déjà plus. 
je veux m’échapper de moi-même, aller et venir au travers des corps où j’ai une place. il m’est impossible de me limiter à moi-même, à mon propre corps ; ce n’est pas assez — bien —, c’est trop — mal. j’ai le mal de mon corps alors les autres me sauvent, sans contrepartie. iels sont toujours là, les bras forts et assurés afin de m’empêcher la noyade. une vie sans art, une vie juste avec moi-même, est une vie que je me refuse à vivre. 

je ressens une folie certaine et condamnable quand je délivre mon amour pour les artistes, pour les étoiles qui fleurissent dans leurs corps, celles qui ne peuvent prétendre à la mort. je refuse cette mort, je lui impose ma volonté et j’ai la prétention de croire qu’elle m’écoute. mais la mort ne connaît personne, elle n’est rien alors les étoiles vont toujours plus loin, au-delà du firmament des possibles, quelques fois. si seulement les étoiles venaient sur mon corps, elle pourrait m’apprendre à flamboyer — à m’aimer. si seulement j’avais un corps, un corps qui n’était pas le mien.
je crois que j’aime tous les corps sauf le mien justement parce que c’est le mien. 

fermer les yeux sur l'impuissance des corpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant