il est 2h du matin et tu pleures

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il est 2h du matin et je me regarde pleurer. je me regarde sans miroir. je me regarde sans peur. je connais ce qui fait ma laideur. je connais ce qui fait mon impuissance.
je ne suis joli.e que quand je pleure. mes yeux, dans ce cas là, brillent. un peu comme s'ils étaient vivants pour la première fois.
il est 2h du matin et je ne sais plus pourquoi je pleure. je pleure parce que je ne sais plus pourquoi je pleure. 
je pleure parce que mon corps est un bon à rien, parce qu'il ne sait rien faire d'autre. je pleure je pleure je pleure je pleure je pleure.
ça ne s'arrête jamais, ce torrent, cette cascade. ça sort de moi comme si ce n'était plus moi ; je ne suis plus moi-même. 
il est 2h du matin et je pleure au lieu de dormir. je pleure parce que j'ai été vivant.e et que soudain je me retrouve seul.e et mort.e au fond de mon lit. mon corps est nu, recroquevillé dans un coin du lit, au cas où quelqu'un viendrait me tenir compagnie, sûrement. ou juste parce que me détester prend toute place qu'il reste.
il est 2h du matin et je ne suis personne. je ne suis capable de rien. j'écris cette impuissance dans un carnet que je traîne depuis l'enfance. je n'ai pas grandi ; je pleure pour pas grand chose. 

il est 2h du matin et je ne sais plus dormir. il ne reste que les regrets, les reproches et les et si. et bien oui, et si. et si et si et si et si et si.
et si je n'avais pas cette impuissance.
et si j'étais capable de l'art.
et si mon corps était capable de la beauté, de l'émotion.
pourquoi les autres en sont capables ? pourquoi les autres et pas moi ? pourquoi pas moi ? pourquoi ce n'est jamais moi ?
il est toujours 2h du matin, le temps se fige quand je pleure. il est dur de vivre avec les larmes alors quand elles arrivent je fais lae mort.e ; je deviens mort.e.
certains jours, il est 2h du matin toute la journée et je passe mon temps à pleurer. je pleure sur mon corps qui n’est capable de rien et sur le temps que je perds à pleurer. je pleure pour ces larmes que je n’aurai pas dû verser. rien ne mérite une telle dispersion de soi, un tel effacement de sa personne. 
je crois que je fais bien lae mort.e : personne ne vient me parler quand je pleure. je deviens invisible, je n’ai plus de corps quand je pleure. et cela est d’un soulagement atroce, une délivrance. mon corps est effaçable, corrigible, il échappe au temps, aux autres, à moi-même. alors parfois, les larmes font du bien, elles ont ce que rien d’autre n’a.

parfois, il est 2h du matin pour toute une vie, pour tout ce qu’il en reste. pour toute ma vie, sûrement. mais je finis toujours par trouver une fin aux larmes ; elle vient d'elle-même, sans que je sache exactement comme. elle vient dans l’amour qui fait soupirer à 2h du matin, dans les rêves qui font sourire au réveil, dans les nuits paisibles et sans vagues. il lui arrive même de venir de la fierté de moi-même, quand les mots ont tout lâché et que les choses que je ne pouvais plus dire voient de nouveau le jour. il est peut-être 2h du matin pour toute ma vie mais ma vie n’est pas toujours les larmes de 2h du matin. parfois, le corps cesse de pleurer, de se détester, comme ça, sans que personne n’y comprenne jamais rien. 

fermer les yeux sur l'impuissance des corpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant