Chapitre 1

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Je l'avais enfin retrouvé, le léopard solitaire. A cent mètres de moi, entre les arbres de la forêt environnante, se tenait ma proie, un thérianthrope mâle au pelage noir de jais. Il montra les crocs et arracha le bras d'une pauvre femme qui tentait de s'enfuir alors qu'elle faisait visiblement son jogging. Mince, j'arrivais trop tard.

A l'aide de mes griffes, je grimpai à l'arbre le plus proche et sautais de branche en branche à sa poursuite. Etant moi aussi une thérianthrope panthère comme ce monsieur, l'exercice était facile. Plus facile même que les autres léopards puisque ma race, panthère des neiges, faisait des bonds deux fois plus grands. De plus, j'étais légère, environ cinquante kilos, ce qui me permettait de bondir sans briser les branches les plus frêles. Mais en contrepartie, je n'étais pas une redoutable combattante, à mon plus grand regret.

Lorsque je me fus assez approchée, je sautai de mon perchoir pour atterrir sur ce mâle qui me semblait très appétissant. N'ayant pas remarqué ma présence, il faut dire qu'il appréciait son repas – la femme entre ses pattes gisait, méconnaissable – je lui tombai dessus, non sans briser un os ou deux au passage, et l'aplatit comme une crêpe sur le sol, mes papattes avant sur ses omoplates bien faites. Il me regarda du coin de l'œil en gémissant, un peu sonné puis gronda. Je lui répondis avec plaisir et enfonçai mes crocs dans sa nuque afin d'asseoir mon autorité. A l'instar de toutes les dames panthères, j'avais tellement peu d'occasion de montrer ma domination sur un mâle que je ne ratais jamais l'opportunité lorsque je dénichais les petits nouveaux qui ne connaissaient pas encore nos règles. Malgré tout, sans que je n'y comprenne rien, il m'éjecta de son dos. Peu habituée à ce qu'un novice ait un tel caractère, j'en fus étourdi. Il en profita et me bondit dessus. Je roulais sur moi-même afin de l'éviter mais, il était trop tard : je me trouvais sur le dos, lui sur moi, me bloquant sous son corps. Mauvais, très très mauvais... Ainsi exposée, j'étais à sa merci. C'est alors que, à son tour, il m'attrapa la gueule à pleine dents tout en rugissant. Je me débâtis sous lui à l'aide de mes pattes mais il resserra sa mâchoire sur la mienne. Si je continuais comme ça, il allait finir par m'arracher le museau... voire plus ! Alors je feignais de lâcher les armes et il me libéra la gueule. Il bomba le torse et me regarda de ses yeux sévères tout en lançant un petit grognement suffisant, puis il s'en alla en prétendant être désintéressé par ma petite personne.

Pfff, les mâles !

Lorsqu'il fut assez loin de moi et qu'il retourna auprès de la pauvre morte, bien que je savais très bien qu'il guettait le moindre de mes faits et gestes, je me relevai. Je léchais mes babines où perlaient quelques goûtes de sang...

Il allait me le payer, ce nouveau !

Je m'éloignai à quelques trois cents mètres, grimpai de nouveau à un arbre et attendis quelques minutes afin qu'il m'ait oublié. Quand il eut arrêté de lancer des coups d'œil dans tous les sens – grave erreur de sa part – je me jetai sur lui. Cette fois, les pattes bien tendues, je me laissais tomber comme une pierre, de tout mon poids. Il allait morfler pour avoir osé me faire saigner, moi, si délicate demoiselle !

Il m'aperçut, mais trop tard. Et je m'affalai sur son dos, sans une once de culpabilité quand d'autres os craquèrent. Certes, il avait déjà un comportement animal, mais il ne m'arrivait pas encore à la cheville.

Auto-persuasion, quand tu nous tiens...

Il feula mais ne me délogea pas. Il devait sûrement avoir trop mal. Il faut dire qu'avec la pâtée que je venais de lui mettre...

Je lui mordis l'épaule. Il gronda. Sa fierté allait en prendre un coup, je le sentais. Je m'attaquai à son autre épaule pour qu'il comprenne qui était le maître et son grondement se transforma en sifflement. Je léchai sa plaie en guise d'encouragement. Espérant qu'il ne boude pas, je mordillai alors son flanc par pure taquinerie. Après tout, je ne pouvais pas avoir un tel comportement tout le temps, c'était exceptionnel, alors j'en profitais. Pour une fois que je dominais un mâle. Par contre, s'il me retrouvait une prochaine fois, il me faudrait courir bien vite si je ne voulais pas perdre un jarret. Je comprenais bien qu'il avait un fort caractère de dominant...

DÉMASQUE-MOI... si tu peux {en pause}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant