Le genre

68 6 0
                                    

La binarité attendue

Je suis une femme transgenre. Enfin, c'est ce que je dis par souci de simplicité. Non pas parce qu'il est compliqué de comprendre ce qu'est le terme demi-girl, qui me définit plus convenablement. Mais surtout pour ne pas bousculer à chaque fois les codes bien établis et les attentes des personnes non informées sur les sujets de transidentité.

J'ai décidé qu'il était viable et convenable de communiquer une définition binaire de mon genre aux personnes que je côtoie, en me pliant à leur besoin informel de conformité. Mais d'une certaine manière, je sens que le concept de genre n'a qu'en partie son importance et sa raison d'être, et parfois cela me dérange de genrer à outrance les personnes (par exemple, saluer en disant : "bonjour, messieurs-dames").

Je préfère dialoguer de manière neutre par rapport au genre et enlever cette catégorie de nos espaces de vie là où ça ne fait pas sens, par exemple, en installant des cabines de toilettes neutres afin d'inclure toutes les personnes sans discrimination.

Pour le moment, les toilettes genrées, tout comme les fouilles aux corps dans les lieux festifs ou encore les vestiaires, rappellent et mettent en lumière certaines injonctions liées à l'expression de son genre, en restreignant implicitement l'accès à toutes les personnes qui ne respectent pas les codes binaires et subjectifs du genre.

Injonction dans le paraître

La société telle qu'elle est actuellement nous invite fortement à performer les genres binaires préexistants. Avec le temps, je me suis petit à petit détachée de cette constante pression à devoir paraître toujours et en tout temps féminine vis-à-vis des critères subjectifs de la société. Au lieu de cela, j'ai préféré créer ma manière d'être, détachée de ce qui paraît masculin ou féminin. J'ai appris à ne plus accorder d'importance à jouer un rôle préétabli, à rentrer systématiquement dans les cases.

J'ai aussi appris à apprécier mettre les gens mal à l'aise et ouvrir les esprits des personnes ayant une vision binaire de la société. Lorsque je me sens en inadéquation avec une injonction, quelle qu'elle soit, je développe une grande motivation à la déconstruire et à questionner les personnes avec qui je discute sur leurs perceptions afin de mieux comprendre comment cette injonction est construite.

Si cela m'a réussi et m'a apporté beaucoup de confiance en moi de parler de mon cheminement de genre à mon entourage, je n'ai pas toujours été victorieuse à être transparente, et cela, surtout dans mon parcours psychomédical.

Injonctions dans la constance

À notre naissance, les médecins nous assignent un genre sur la base de nos organes sexuels externes, puis la société s'attend à ce que ce genre soit le bon toute notre vie. Si pour beaucoup de personnes, cela ne pose pas de problème, pour certaines, cela crée un énorme inconfort. Beaucoup de questionnements identitaires peuvent alors survenir, et nous amener à questionner ce genre que l'on nous a assigné. Ce cheminement peut découler sur plusieurs changements de définitions, lorsqu'on découvre de nouveaux termes plus précis ou lorsque notre identité de genre est fluide.

Cependant, ce cheminement et ces changements de définition ne sont pas perçus comme légitimes par une partie de l'entourage, mais surtout par les médecins et psychiatres, d'autant plus si une ou des opérations sont souhaitées par la personne concernée.

Je l'ai vécu à mes dépens lorsque j'ai dit que je me définissais plus précisément avec le terme demi-girl alors que jusqu'à lors, j'avais toujours expliqué que j'étais une femme binaire. Ma psychiatre a alors commencé à remettre en question mon besoin de faire une vaginoplastie alors que j'étais décidée depuis deux ans et que les démarches étaient entamées.

Suite à cet épisode, je l'ai fuie et je n'ai plus pris rendez-vous. Jusqu'à ce qu'elle annule mon opération une semaine avant qu'elle ait lieu sous prétexte que nous n'étions pas sûres et qu'il fallait qu'on rediscute de points essentiels liés à mon consentement pour cette opération.

De mon point de vue, j'assimile ce besoin de contrôle et ces peurs de "l'irréversible" à certaines projections que font des personnes cisgenres sur les personnes trans et à une dynamique de pouvoir de la psychiatrie sur des besoins personnels liés à la transidentité.

Projection des personnes cis

Beaucoup de personnes cisgenres ont une idée préconçue de ce qu'est une personne transgenre. Elles projettent alors leurs expériences de personnes cis sur la vie des personnes trans, par exemple en disant que les enfants ne peuvent pas savoir qu'iels sont des personnes trans, car à leur âge, les personnes cis ne se posaient pas la question.

Le problème de ces projections, c'est qu'elles découlent en questionnements et inquiétudes qui justifient des propos intrusifs sur la sphère privée des personnes transgenres ainsi que des lois restrictives vis-à-vis de leurs libertés individuelles.

Dans certains cas, elles dramatisent des démarches d'affirmation de genre, telles que les changements de prénoms pour les enfants. Dans d'autres, elle prolonge le cheminement nécessaire pour obtenir des soins adaptés à nos besoins. Dans tous les cas, ces projections sont une pression supplémentaire sur l'existence des personnes trans.

Finalement, ces projections découlent sur un contrôle qui selon moi est excessif par rapport aux différentes opérations. Les médecins mettent l'irréversibilité de la démarche au premier plan, et ralentissent au maximum les étapes, ce afin d'être totalement sûr du besoin de l'opération en question. Je n'ai jamais vu de psychiatres analyser le besoin d'enfants de parents souhaitant se lancer dans ce projet, tout en restreignant le droit et l'accès à l'enfantement.

Il serait temps de dédramatiser le parcours des personnes transgenres.



Non ConformeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant