Une amie m'a expliqué que c'est une fois tous les éléments connus que la décision a été prise de continuer les investigations, en accord avec le senior, en clair le référent du service, mais également en demandant l'avis d'un spécialiste cardiologue. Ma tension devait probablement être un peu basse, mon pouls trop rapide et mon taux de d-dimères pouvait laisser suspecter une embolie pulmonaire ou une thrombose veineuse. Pourtant, la matinée a passé comme ça, sans affolement.
Tranquillement installée dans mon lit, c'est aux alentours de quatorze heures que j'ai entendu à nouveau la voix de mon « apprenti médecin » dans le couloir, discutant entre deux portes avec ses collègues. Il n'avait pas déjeuné, il parcourait l'hôpital à la recherche de l'écho portative. C'était la première fois qu'il allait pratiquer cet examen et, sans jeu de mots, je ressentais à l'intonation de sa voix, à son entêtement, que ça lui tenait à cœur. Être là, acquérir un savoir, des connaissances, c'était son quotidien. Quand il est entré avec l'appareil et celui qui allait lui montrer comment le manipuler, il a demandé s'il pouvait rester dans la salle pendant l'examen et j'ai accepté en souriant.
C'est étrange cette façon qu'ont les médecins de parler entre eux, de vous détailler, comme un objet précieux. Ou pas.
Ce jour-là, mon interne, m'a demandé mon autorisation. Il est resté et je me souviens encore de sa gêne. Son regard croisant à peine le mien, fixant la majorité du temps l'écran de l'échographe, y cherchant l'anomalie qui avait pu causer mon état. Observant avec application comment positionner la sonde pour obtenir la meilleure image. J'étais un outil de son apprentissage. Pas une femme. Pas un corps. Et encore moins une poitrine devant ses yeux. Mais contrairement à d'autres, j'ai eu l'impression que ça le mettait mal à l'aise que je ne sois que ça. Et ça m'a touchée.
Durant l'après-midi, d'autres analyses se sont succédé : radio thoracique, scanner... Je me sentais si pâle, je me sentais si mal. Mais sereine. Dix ans que j'étais à bout de souffle et je n'avais jamais eu autant d'examens en une seule journée. Je me laissais faire. Installée près de la porte, j'observais les va-et-vient, j'entendais parfois encore des voix dans le couloir. Cette activité incessante du personnel contrastait avec la quiétude qui m'enveloppait, malgré la probable présence d'autres patients dans les espaces adjacents, derrière le rideau sur ma droite.
Je me sentais pourtant bien loin d'un épisode de Docteur House ou Grey's anatomy et décidais en début d'après-midi de me plonger dans le livre que m'avait laissé la personne qui avait eu la gentillesse de m'accompagner ce jour-là : Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus de John Gray. Un peu tard pour le coup et question psycho à deux balles, j'étais servie. Mais bizarrement, je trouvais tout ça un peu vrai. Enfin... ça avait surtout le mérite de me sortir un peu de là. Alors je l'ai lu en diagonale.
Dans un tel environnement, je tente toujours de ne pas être une pensionnaire trop pénible. Je reste dans mon coin, je ne demande rien sauf si c'est réellement nécessaire. Je préfère la discrétion, d'autant plus que ce jour-là, je ne souffrais pas énormément physiquement. Je ne me sentais donc pas en droit de me plaindre de mes petits tracas. Je n'avais jamais eu besoin d'avoir ce courage que j'ai toujours admiré chez les autres, cette capacité et cette humilité face à l'épreuve, face à la douleur, face à l'injustice de la maladie, face à l'inacceptable de manière générale. Aujourd'hui, je sais que j'en suis incapable.
Les morts ne reviennent pas. La maladie n'est pas une amie. Qu'ils aillent se faire foutre. Qu'on me lâche la grappe. Je donne, mais visiblement pas assez. La leçon continue et je suis lâche. De celles qui se morfondent au fond du lit le temps que l'orage passe. Que l'énergie revienne. L'enfant gâtée à qui on cède les caprices dans l'espoir qu'elle soit plus heureuse, qu'on laisse se reposer dans l'espoir qu'elle soit moins lasse. Mais ça arrive si peu. Et ce n'est pas parce que je vous l'avoue maintenant que j'en suis fière. J'accepte, c'est tout. Chacun son fardeau.
À la fin de la journée, les médecins sont arrivés à la même conclusion que moi : j'avais fait un malaise vagal. Rien de grave alors. C'est chouette, non ? Pourtant ils m'ont quand même gardée. La petite surprise que je n'avais pas prévue, c'était la communication interauriculaire de type II qui atteignait environ deux centimètres. Pour moi, le vocabulaire était familier, mais peut-être que de votre côté, vous auriez eu envie de leur répondre « késako ? » et vous n'auriez pas eu tort. Alors, tentons d'expliquer cela simplement.
Le cœur est une pompe scindée en deux cotés, chacun lui-même composé d'un ventricule et d'une oreillette : le droit récupère le sang appauvri par nos besoins physiologiques et se contracte pour le renvoyer vers les poumons qui vont l'oxygéner à nouveau tandis que le gauche va accueillir le sang provenant des dits-poumons pour le renvoyer dans la circulation afin d'alimenter en dioxygène toutes les parties du corps. Il va de soi que les deux côtés ne sont pas censés entrer en relation, pour ne pas mélanger les sangs pauvres et riches en dioxygène. Mais dans certains cas, environ 0,7 pour mille naissances, le foramen ovale, ouverture entre les deux oreillettes qui permet une circulation particulière durant la vie embryonnaire et doit s'obstruer pendant les premières années de vie, ne se referme pas.
Vous l'avez peut-être déjà compris, c'est ce qui m'était arrivé et c'est ainsi que j'ai appris de la bouche de monsieur le Professeur que je rejoignais les1 % de personnes environ qui sont atteints de cardiopathies congénitales. Pour ma part, rien de grave a priori. Je vivais avec depuis toujours, nous cohabitions bon an, mal an et j'aurais pu l'ignorer... jusqu'à mon décès. Parce qu'à force de compenser une activité défaillante, le cœur droit s'était dilaté alors peut-être bien qu'à un moment il aurait fini par lâcher, allez savoir. En tout cas, en connaissance de cause, il fallait opérer.

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L'écho
Short StoryEt si on vous annonçait après une rupture amoureuse que votre cœur était un peu brisé, au sens propre du terme ? Impossible, pensez-vous ? C'est pourtant l'histoire vraie que je vous raconte dans L'écho.