Chapitre 4

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Je devais patienter quelques mois avant de pouvoir bénéficier de l'intervention. En attendant, j'essayais de refaire ma vie. Refaire sa vie, quelle drôle d'expression. Comme si je pouvais défaire ce que j'avais déjà fait. Comme si je pouvais arranger ce qui m'avait dérangé... J'ai préféré continuer, tant bien que mal.

Il me semblait que j'avais passé mon existence au second plan, à essayer de privilégier le plaisir des autres avant le mien. Je ne regrettais pas, mais à présent, j'avais envie de vivre pour moi. Selon mes envies. J'avais l'impression d'avoir attendu quelque chose qui n'était jamais arrivé, l'impression de devoir tout reprendre à zéro.

Je crois que certaines personnes éprouvent encore des difficultés à comprendre ça. Que je ne regrette pas. Mon passé, mon départ d'un bout de la France pour un autre... Mon ex, je ne lui en veux pas. Le fait de réaliser que j'étais faillible, que tout pouvait s'arrêter du jour au lendemain m'a remis les choses en perspective. J'ai aimé quelqu'un, j'ai aimé ce que nous avons vécu. Pourquoi perdre mon temps à lui en vouloir ? Oui j'aurais préféré comprendre. Oui même quand nous étions ensemble, j'ai parfois pleuré pendant qu'il dormait, je pensais à l'avenir et les larmes glissaient sur mes joues en silence. Mais on a eu aussi tellement de beaux moments. J'ai parfois cette chanson en tête, celle qu'il me jouait à la guitare. Les cordes résonnent encore, mais maintenant, c'est moi qui tiens le manche. Today is gonna be the day that they're gonna throw it back to you.

Au mois de septembre 2009, j'ai été admise à l'hôpital. Cela devait durer à peine trois jours. Trois jours et je serai une autre. Trois jours et cette histoire serait derrière moi. Je ne serai plus essoufflée. Je ne serai plus fatiguée. Je pourrai vivre la vie à cent à l'heure.

Je me dis souvent que la vie ne tient pas à grand-chose. Je me dis « et si le médecin du travail avait été sur place et que je n'avais pas été aux urgences pour mon malaise ? » ; « et si j'avais décidé d'aller voir le médecin traitant de ma collègue au lieu d'aller aux urgences ? » ; « et si mon médecin de famille avait vu dans mon dossier ce souffle au cœur notifié à surveiller par son prédécesseur ? » ; « et si aux urgences, j'étais tombé sur un autre interne, moins passionné, moins rigoureux peut-être ? » ; « et si j'avais ouvert mon carnet de santé au bon moment et demandé ce qu'était cette maladie de Roger griffonné page 45 ? » ; « et si j'avais délaissé quelques heures mes cours de pharma pour aller faire l'écho qui m'avait été prescrit, mais qui de la bouche même de la généraliste ne servait à rien... ? » Et si... ? Et si... ? Vous voyez, je ne jette la pierre à personne. Car il me semble que le plus important est que je suis encore là, pour le moment.

Il faisait plutôt beau pour un mois de septembre. Si je me souviens bien, j'avais été admise la veille au soir et j'étais partie au bloc dans la matinée. Pas trop stressée. Ce type d'opération s'appelle le cathétérisme cardiaque interventionnel. Sous anesthésie générale, par l'artère fémorale puis l'aorte, on fait passer une prothèse sous forme repliée qui se déploiera tel un parapluie seulement arrivé jusqu'au niveau du fameux foramen ovale afin de refermer ce trou qui nous dérange tant. Un parapluie pour me protéger de futurs problèmes de cœur, je trouve ça joli. Pas vous ?

Mais avant ça, le même jour, il faut vérifier le diamètre de la communication pour choisir la bonne taille de prothèse. Et cela se fait par échographie transœsophagienne, en gonflant un ballon qui permet la mesure au niveau du cœur. Tout cela est non invasif, cela veut dire qu'on ne va pas m'ouvrir, mais simplement passer une canule au niveau du pli de l'aisne. Après l'opération, l'ouverture persistante se referme et avec le temps, du tissu conjonctif vient recouvrir ce qui ne sera plus qu'un vilain souvenir. Ça paraît simple. Ça l'est, en théorie. Et cette technique permet au patient de récupérer plus vite.

Ça m'arrangeait, car c'était pour moi la période des oraux. Et bien oui, souvenez-vous, j'essayais de refaire ma vie. Et pour ça, je cherchais un nouveau travail. J'avais donc passé des concours pour tenter d'avoir un poste de technicien ou d'assistante dans différents organismes de recherche, dans divers coins de France. En conséquence, c'est pas moins d'une dizaine d'entretiens ou d'oraux que j'ai passé et une cinquantaine de CV envoyés pour tenter d'avoir un poste statutaire, en clair un poste à durée indéterminée. À Grenoble, à Marseille... Mais cette année-là, je n'ai pas décroché de poste. Pourtant, c'était mal me connaître que de penser que j'allais arrêter de m'accrocher.

Quand j'ai ouvert les yeux dans cette première salle de réveil, j'ai tout de suite senti que quelque chose n'allait pas. J'ai mis cela sur le compte du stress. Cela faisait déjà quelque temps que je ne croyais pas au succès de cette opération, une sorte de mauvais pressentiment que je me forçais à refouler. Je me suis dit que je me faisais des idées et j'ai décidé de demander à l'infirmière qui passait à proximité de mon lit plus de renseignements.

— Ça va, ça a été ?

L'écho Where stories live. Discover now