Prologue - Identité trouble

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L'air recyclé des dortoirs, bien qu'inodore et stérile, offrait une fraîcheur agréable. Il possédait cette faculté de raviver en elle quantité de souvenirs comme cette fois où Sélène, sa camarade de chambre, lui avait relaté son voyage vers les strates équatoriales. Ou encore la voix doucereuse de Meÿlune lui racontant une histoire pour s'endormir. Meÿlune. Pourquoi lui avait-elle donné rendez-vous ici alors que la classe venait tout juste de se terminer ?

— Ce n'est pas le moment d'aller se coucher, remarqua Hannah du haut de ses treize ans, pendant que sa tutrice s'affairait dans la pièce commune.

Cette dernière déclara d'un ton affectueux, mâtiné d'une once d'hésitation :

— Le temps est venu pour moi de te dévoiler un secret à propos de ton identité.

— De mon identité ?

Assise sur le rebord de son lit, Hannah cessa subitement de faire rebondir ses jambes sur le moule en plastique servant de sommier.

— Connais-tu l'origine de ton prénom ? demanda Meÿlune à celle qu'elle chérissait tendrement depuis plus d'une décennie.

— L'ordinateur me l'a donné, hésita la fillette en haussant les épaules.

— Pas exactement, corrigea sa tutrice en entrant dans la chambre, munie d'un livre en papier véritable, objet rarissime dans la station.

— Que veux-tu dire par là ?

— Ce prénom, c'est moi qui l'ai choisi.

Sa jeune pupille faillit s'étouffer avec sa salive.

— Mais cela va à l'encontre des règles du centre !

Meÿlune s'amusa de la candeur de l'adolescente.

— Allons, ne me dévisage pas ainsi. L'ordinateur a dysfonctionné au moment de t'attribuer un prénom. Quelqu'un devait corriger cette erreur : moi, en l'occurrence, la responsable de ton incubateur.

— Contrevenir au code de la régulation des naissances... tante Meÿ, je ne veux pas qu'ils t'envoient en prison vide.

La mère de substitution se pencha légèrement. Ses joues blêmes accrochèrent le halo bleuté d'un néon à iridium, tandis que ses yeux s'effacèrent dans l'ombre, ôtant subitement toute la douceur de son visage affable.

— Personne ne le saura, jamais, affirma-t-elle d'un ton glacial. Et puis, sais-tu seulement ce qui arrive aux sans nom ?

— Ce terme n'existe pas, tu viens de l'inventer, s'indigna Hannah en roulant des yeux.

Meÿlune ricana. Elle savourait les derniers instants de complicité avec sa fille adoptive.

— Cela se pourrait.

Une larme qu'elle tenta d'effacer ruissela jusqu'à ses lèvres.

— Pourquoi pleures-tu ?

— Tu es devenue une jeune fille pleine de ressources. Cela signifie qu'il n'y a plus rien que je puisse te transmettre. Hormis ceci.

Elle s'installa à côté d'Hannah, puis posa délicatement l'ouvrage finement travaillé sur ses jambes. Sur la couverture du livre, on pouvait lire en capitales : « Hanëisse la valeureuse, Contes et légendes de la mythologie héléenne, par Illias Faghor. » De la lettrine partaient de longues et voluptueuses arabesques, lesquelles s'entremêlaient avec les caractères du titre à la manière de plantes grimpantes. À en croire l'inscription en bas de la couverture, l'ouvrage datait de l'an 641 du calendrier héléen. Le récit originel remontait à plus d'un millénaire. Le livre quant à lui semblait neuf, sans doute une réédition récente.

— Ce recueil provient de la bibliothèque du culte, fit remarquer Hannah en contenant son immense détresse.

Bien qu'elle s'y attendît depuis plusieurs mois, l'annonce de leur séparation était un véritable crève-cœur.

— ... Tu ne m'as jamais parlé de ta foi.

— Mes parents vénéraient les dieux unimondiens. J'ai baigné dans les récits de Licène et de Khaar, mais j'ai cessé de croire en leur véracité au fil des années. Cependant, tu n'as pas besoin d'éprouver de la piété pour apprécier cette merveille.

Elle tapota le livre du plat de la main.

— De quoi parle ce livre ?

— D'une déesse jadis humaine que l'on nomme déidre.

— Déidre... quel joli mot.

— Les déidres font partie des êtres inférieurs qui ont acquis assez de pouvoirs pour rivaliser avec les dieux cosmiques, les Irdes. Certains héros des légendes égalent même les grands Tsuns !

Hannah ouvrit de gros yeux ronds, révélant au passage la pigmentation irrégulière de ses iris.

— Est-ce le cas d'Hanëisse ?

— Bien sûr ! C'est elle qui m'a inspiré ton prénom. Veux-tu que je te lise un passage ?

— Oh oui, tante Meÿ, s'empressa de répondre Hannah en l'étreignant de toutes ses forces.

Meÿlune ajusta les mèches de sa chevelure argentée, prit une bonne inspiration, ouvrit le livre à la première page, puis commença sa lecture.

Le cycle d'Hélios : I. Routine Epsilon [Autoédité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant