27 - Les réfugiés du dortoir D1245

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Le jeu, pourtant simpliste dans sa mise en place — on ouvre un sac de balles au milieu d'une arène sphérique zéro-G et les joueurs se ruent dessus pour en récolter un maximum —, devient vite un casse-tête pour les arbitres. En effet, le nombre de points inhérent à la récupération d'une balle — on appelle cette action un « gontau » — dépend d'une variété de facteurs tels que le nombre de passes ou de rebonds effectués au préalable. En général, le spectateur lambda sait juste qu'une manche peut s'arrêter prématurément lorsque tous les joueurs d'une équipe flottent simultanément sans toucher de prise. Il prend alors un plaisir coupable à hurler « kenjitau ! » avant même que l'arbitre ne décrète la pénalité.

« L'art du taujo », extrait de l'Encyclopédie des sports de la ceinture, 2000 H.

L'espace d'un instant, les rires des enfants derrière la porte lui firent oublier sa condition de réfugiée. Quand elle sortit de la chambre, deux petits Thaals à l'air mutin — un garçon et une fille — lui firent un grand sourire en guise de bienvenue. Ils s'égaillèrent en sautillant et en poussant de petits cris aigus lorsqu'Hannah leur rendit la pareille. Dans le salon, tout le monde s'affairait à la préparation du petit déjeuner.

Une jeune femme au teint sombre entra avec un imposant panier de victuailles. Cette dernière remarqua sa présence. À peine avait-elle franchi le pas de la porte que les deux enfants Thaals surgirent de nulle part pour se jeter dans ses bras en criant « Maman, maman est revenue ! ».

— Vous exagérez, maman n'était pas loin ! Apportez ça à votre père dans la cuisine.

— Du Nébula pétillant, youpi ! s'écria le garçon avant de s'en aller en tirant un sac aussi lourd que lui.

— Bonjour, je m'appelle Ifenne. Vous devez être la nouvelle. Un volontaire de la coopérative m'a prévenu de votre arrivée. J'espère que mes petits choux ne vous ont pas réveillée.

— Hannah, enchantée. Ne vous en faites pas, c'est si bon de voir la vie reprendre son cours dans les dortoirs.

La maman, une Thaals potelée au visage félin avec un piercing dans le nez et un anneau fiché dans chaque lobe — un signe religieux caréna —, se rapprocha et lui tendit chaleureusement la main. On pouvait distinguer le numéro quatre-vingt-deux, cousu près du col de sa tenue conventionnelle. La Thaals l'enserra de sa deuxième main et s'exprima à voix basse :

— Nous avons expliqué à nos enfants que l'Union nous prêtait cette chambre jusqu'à la réparation du transtrate.

L'Ulne lui offrit un sourire en guise d'approbation. La jeune maman ne desserra pas sa prise pour autant.

— J'envie leur innocence... car en réalité, je n'ai aucune idée de ce qui nous arrive. Ces gens qui se baladent l'arme au clair devant mes enfants, cela ne me plaît pas. Jorhi adore faire la course avec sa sœur autour du pilier central, et s'ils se blessaient... ils n'ont qu'une simple infirmerie ici.

La doctoresse entendit le signal de détresse de la jeune maman. Une peur viscérale se lisait sur son visage.

— Écoutez Ifenne, vous pouvez compter sur moi pour veiller sur votre famille : je suis médecin.

La jeune maman s'essuya furtivement une larme après avoir relâché la main d'Hannah. Qui sait ce qu'elle et sa famille avaient vécu avant d'atterrir ici. Elle reprit d'une voix plus guillerette :

— Vous joindrez-vous à nous pour le petit déjeuner ? On a du Nébula pétillant et des barres de similifruits, parfaits pour faire le plein de vitamines.

— Avec joie, mes batteries sont complètement à plat !

Après une bonne collation, Ifenne et son mari Jok, un homme débonnaire au physique râblé et à la barbe fournie, demandèrent à leurs enfants Jorhi et Aleniki d'aller jouer dans leur chambre. Avec la découverte d'un speed-o-matic téléguidé dans le coffre à jouets, les négociations furent de courte durée. Tout le monde s'installa ensuite dans le salon. Assis à côté d'Hannah sur le canapé évoforme, se tenaient les deux enfants de la famille Dakùn, eux aussi séparés de leurs proches au moment du cataclysme. Ogwhan, l'aîné, était un jeune homme vigoureux de dix-sept ans au teint hâlé et aux traits anguleux. Ses muscles saillants s'imprimaient sur son débardeur noir à la manière des athlètes de taujo, ce sport en apesanteur si apprécié des Thaals. Hannah apprendrait plus tard qu'il jouait le poste de propulseur dans l'équipe Sigma 23, une équipe célèbre en lice pour le championnat intersectoriel de cette année. En comparaison, sa petite sœur de douze ans, Dakhaëlle, ressemblait à une brindille prête à se casser sous une égalisation de pression. Pâlichonne, gracile, peu encline aux interactions sociales — Hannah n'entendrait le son de sa voix que plusieurs heures plus tard —, elle s'opposait radicalement à son frère. Une longue natte asymétrique aux figures géométriques complexes retombait sur le côté de son visage hermétique, pour parfaire son caractère énigmatique.

Le cycle d'Hélios : I. Routine Epsilon [Autoédité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant