22 - Déluge d'énergie

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Kripanidhi Raina, futur prophète du culte d'Aarg, croyait en une utopie dans laquelle il pourrait fédérer les deux mondes jusqu'alors irréconciliables qu'étaient la science et la religion. Comme beaucoup d'autres colons luniens, le régime néo-laïque avait agi sur lui à la manière d'un catalyseur spirituel, et avec son essai volontairement provocateur, il comptait bien mettre un coup de pied dans la fourmilière. Le numéro 1182, publié dans le célèbre journal de Matthew Atkins, le Moon Voices, est à ce jour considéré comme étant le tout premier canon aarguien.

Extrait de « La genèse du culte d'Aarg » par Naash Taël, 802 H.

Elle visa, rata son coup. Ajusta le tir, puis décocha une salve de billes fumantes dont plusieurs arrivèrent au but. La verrière tout entière vibra sous la déflagration fracassante de l'impact. Des éclairs jaillirent de toutes parts. La serre crépusculaire se transforma en un champ de bataille stroboscopique sur lequel s'abattit une pluie de verre redoutable. Les vitres éclatèrent une à une autour des deux individus décontenancés par le déchaînement de violence.

La contre-attaque ne se fit pas attendre.

— Feu à volonté ! s'écria le premier.

Les dernières vitres volèrent en éclat. La tôle se déchira, aspergeant le petit trottoir d'une fontaine de lambeaux métalliques brûlants. Les deux policiers, armés jusqu'aux dents, vidèrent allègrement leurs chargeurs sur l'intrus qui avait osé défier l'autorité du Nouveau Protectorat.

Le calme retomba. Hannah entendit crisser le verre sous les épais rangers des policiers. Ces derniers se rapprochaient : ils venaient pour elle. Son arme montrait encore sa pleine capacité. Elle fit tourner la molette, marqua sa cible, tendit le bras, et sans trembler, pressa sur la détente. La bille chauffée à blanc pénétra dans la panne faîtière de la serre, liquéfiant progressivement la solide barre de platine jusqu'à la rupture totale. L'ossature fragilisée ne résista pas longtemps sous le poids des imposants panneaux de verre qu'elle ne soutenait plus.

Un crissement strident en provenance du toit interrompit le face-à-face. En bas, tout le monde leva la tête et vit la partie supérieure de l'édifice chanceler dangereusement, d'un côté, puis de l'autre, avant que tout ne s'effondre dans un tonnerre assourdissant.

Les minutes passèrent sans qu'aucun des participants à la guérilla urbaine ne manifeste le plus petit signe de vie. Les stigmates laissés par l'affrontement ne prédisaient rien de bon pour leur sort. La serre n'était plus qu'un tas de décombres fumants tacheté par les halos multicolores des cactus déchiquetés. Un des murs tenait miraculeusement debout, alors que le toit avait triomphé des trois autres. Quelques poteaux tordus subsistaient, grossièrement plantés au milieu d'un champ de verre pilé.

Killian, lequel avait assisté impuissant au dénouement du combat, fit son apparition. Extérieur à l'altercation, il ignorait que sa protégée se trouvait impliquée dans ce désastre. Il n'avait également aucune idée du sort que ses deux homologues lui réservaient, car ces derniers s'étaient présentés à lui comme des zélotes en mission de reconnaissance dans la couronne. Rien dans leur discours n'avait éveillé ses soupçons : ils avaient reçu l'ordre de rapatrier les rescapés de la catastrophe dans le dortoir du quartier.

Après quelques pas hésitants dans le capharnaüm, l'arme au poing, le protecteur se fraya un chemin en direction du sentier principal recouvert de débris végétaux. Il aperçut d'abord du sang. Puis la marque d'un corps meurtri. Un peu plus loin, une empreinte de main bien dessinée sur le pavé, ainsi que des giclées d'hémoglobine. Il découvrit enfin une traînée de sang qui s'éloignait en direction des rares arbres encore debout dans cette forêt défigurée.

Adossée contre une large ébène de Madagascar, Hannah Freeman attendait patiemment le prochain mouvement de son ennemi. L'arbre massif, bien qu'ayant subi les assauts appuyés des deux zélotes, pourrait largement résister à une deuxième offensive. L'efficacité du pacificateur s'imposa à elle, défiant son aversion pour les armes à feu. Un si petit objet, capable de tenir tête à deux policiers avertis, de causer la dévastation la plus totale, le tout entre ses mains inexpérimentées : l'impression d'invulnérabilité se faisait sentir. Cependant, elle devait garder la tête froide, car cet état euphorique et cette sensation de satisfaction malsaine n'étaient que le fruit du surplus d'adrénaline qui bouillonnait dans ses veines.

Quelque chose s'agita au milieu des décombres. Un des zélotes ? Possible, estima Hannah. Après un bref coup d'œil par-dessus son épaule, l'appréhension se confirma. Un homme armé s'affairait à ramasser de longues feuilles d'arbre pour les jeter sur un tas naissant.

Le premier round s'était déroulé dans la confusion la plus totale ; Hannah avait bénéficié de l'effet de surprise. Elle savait que la suite du match prendrait une tout autre tournure. En véritable combattante, l'Ulne du quartier 11 ajusta son arsenal pour se préparer à l'ultime combat. Le clic caractéristique de la molette de son pacificateur arriva aux oreilles de Killian. Hélas, le bruit se confondit avec le craquement d'une branche qu'il venait d'écraser sous ses épais rangers.

Le cycle d'Hélios : I. Routine Epsilon [Autoédité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant