Le cycle d'Hélios : I. Routine Epsilon [Autoédité]

2 - La créature d'AdCorp 🎵

En 4018 CG*, la station Hélios quitta la Lune après deux millénaires de construction, ce qui marqua le début de l'ère stellaire. Avec l'avènement des technologies quantiques et les découvertes majeures sur la nature de l'univers, avec la science comme pilier de l'éducation et la lutte féroce de l'Union contre les idéologies régressives, les anciennes religions laissèrent place à une nouvelle forme de spiritualité. Les héléens se prirent d'admiration pour la beauté du cosmos ou pour la toute-puissance des lois fondamentales. Les plus pieux virent dans cette complexité trop parfaite des signes d'une intelligence supérieure, non pas divine, mais bel et bien matérielle. C'est ainsi que naquit la mythologie héléenne qui perdure encore aujourd'hui au travers du culte d'Aarg.

« Naissance d'un culte », par la théologienne Etizez Hamidi, 622 H.

*CG : Calendrier grégorien

La station Hélios se trouvait dans une situation de danger immédiat. Face à une maladie inconnue, il ne restait qu'une seule issue envisageable. Hannah pouvait dire adieu à sa flânerie vespérale sur la promenade vénitienne dont les travaux venaient tout juste d'être achevés. Car en dépit de la montagne de paperasse qui l'attendait, elle devait se conformer au protocole.

La doctoresse fouilla dans son sac à la recherche de son autodoc portatif, en vain. J'ai dû l'oublier dans la précipitation, constata-t-elle, affligée. Ce qu'elle avait sous les yeux ne ressemblait pas à une maladie connue des livres de médecine. Le membre ensanglanté du patient d'AdCorp présentait une multitude de petits orifices desquels sortaient des poils drus et torsadés semblables à des vis. Un androïde ne pouvait pas infliger ce genre de blessure. Quelque chose d'anormal, de gravissime, se tramait dans les locaux étriqués de cette compagnie publicitaire. On lui avait sciemment caché les faits. Mais dans quel but ? Cela ne la concernait plus : il incombait désormais à la SMC, la Surveillance des Maladies Contagieuses, d'enquêter sur cette affaire sanitaire.

— Monsieur, votre état suscite la plus grande inquiétude. Je suis dans l'obligation de vous mettre en quarantaine en attendant que la Surveillance prenne le relai. Avez-vous eu un quelconque contact physique avec une autre personne, une poignée de main, n'importe quoi ?

Hannah réitéra sa question, pour rien. Elle lui administra un cocktail chimique qui l'aiderait à tenir le coup jusqu'à l'arrivée de la SMC, puis referma la cuvette des toilettes pour l'aider à s'asseoir. Son regard se figea soudain sur le contenu de celle-ci. Dans une eau trouble flottait une bouillie d'organes parmi laquelle elle jura reconnaître un cœur humain. Horrifiée, Hannah remballa son matériel, jeta gants, blouse et masque dans un sac à déchets biologiques, et quitta la pièce dans la précipitation.

La doctoresse hésita. Lui jouait-on un canular de mauvais goût ? Faisait-elle preuve d'excès de zèle en condamnant temporairement les locaux d'AdCorp ? Sans faillir, elle tint son cou haut, et avec un ton qui n'admettait pas de contestation, déclara :

« Votre attention s'il vous plaît. Pour des raisons de sécurité, je vais devoir mettre votre société sous quarantaine. Évitez tout contact physique avec votre collègue, car il pourrait potentiellement vous contaminer. La SMC se chargera de son cas. Je vais maintenant effectuer un isolement de niveau deux, merci pour votre coopération. »

Seul du personnel certifié pouvait déclencher ce type d'isolement, une décision que l'on ne prenait jamais à la légère, puisque les lieux étaient verrouillés jusqu'à la fin de l'intervention de la Surveillance. Mais personne ne contesta son verdict. Les employés de la firme publicitaire la toisaient d'un air apathique, engourdis par l'alcool et par le drame qui frappait leur petit cercle.