SORROW HEARTS

𝚉𝙴𝚁𝙾

☂︎ La lune elle-même se cachait de mes actes cruels
à chaque tombée de nuit. ☂︎

KYLE
Aujourd'hui

C'est une nuit sombre, illuminée par quelques lampadaires, par quelques visages de passants éclairés par l'écran de leur portable en main, ne regardant pas où ils mettent les pieds. L'un d'eux déchire le silence, sa protestation explosant lorsque ses chaussures sont envahies par une flaque d'eau.

— Nouvelle délégation pour toi, mon pote.

Dehors, la pluie ne martèle plus le sol avec autant de force. Elle semble plus douce, comme si elle avait pris pitié de la terre criant d'agonie. Ou peut-être que ce sont les pleurs de Dieu qui se sont atténués.

Peut-être que l'averse reviendra à la suite de ma mission, me rapprochant un peu plus des portes de l'enfer pour avoir osé ôter une vie que Dieu a donné.

Cela pourrait aussi être mon frère, mais lui déverserait plutôt des larmes de joie, satisfait que je sois devenu ce qu'il me réservait comme avenir : un meurtrier, son reflet.

La voix de mon interlocuteur m'extrait de ma rêverie éveillée.

— Ça a été décidé. Tu retournes sur les bancs de l'école.

— Tu sais pourquoi ? Je demande en tirant une nouvelle taffe, à l'abri de la pluie.

— Personne ne sait vraiment ce que le patron a en tête, Kyle.

Assis sur la terrasse d'un restaurant prénommé Fazer Café Kluuvikatu qui ne vend, à cette heure-ci, rien d'autre que des glaces, le vent s'implante dans la tente qui, malgré l'installation faite pour qu'elle reste immobile, menace de s'envoler. J'observe le cinéma du coin de l'œil, attendant la fin de je ne sais quel film.

— Heureusement pour toi, les rumeurs circulent vite dans cette fosse de lions. Ils sont si avides de ragots et de renseignements sur leurs éventuelles prochaines proies qu'il est facile de se tenir informé des moindres décisions prises par la hiérarchie.

La serveuse revient vers moi dans sa minirobe. Ses cheveux sont foncés, plaqués en un chignon et ses lèvres roses s'étirent, laissant apparaître ses dents légèrement jaunies. Elle me sourit en délaissant le café qu'elle a bien voulu me faire sur la petite table métallique face à moi avant de pivoter et de s'éloigner en roulant délibérément des hanches.

Une fourmi de dégout me parcourt et s'atténue, remplacée par le bonheur de sentir l'amertume de la boisson noire et chaude sur ma langue.

— Tiens-toi bien ça risque de te plaire, ajoute mon interlocuteur.

Je pose la tasse et tire sur ma clope qui n'omet pas de crépiter.

— Il paraît qu'une fille vend notre drogue au sein même du lycée et pour beaucoup moins cher.

— J'ai vingt-cinq ans, rétorqué-je. Je n'ai pas le temps de me soucier d'une gamine de dix-huit ans en manque d'attention.

— D'après mes recherches, elle n'a pas dix-huit ans. Elle en a vingt.

— Une idiote, qui plus est.

— Idiote ou pas, elle met en danger le business du patron, objecte-t-il. Il faut impérativement que tu t'occupes de cette lycéenne.

— En fréquentant des gosses à longueur de journée ? Je pourrais l'abattre, affaire classée.

Un silence me répond et mes pupilles retombent sur l'entrée du cinéma qui se vide petit à petit.

— Pourquoi il m'a choisi pour cette mission ? ajouté-je. Il sait pourtant que je suis l'un de ses meilleurs éléments pour buter des gens par exemple, pas pour me retrouver le cul sur une chaise huit heures par jour.