CHAPITRE 2 - L'éclair jaune de Konoha

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De loin, les silhouettes de Jasper, mon ex, et Willa, sa nouvelle copine et ma seule amie au club de surf s'éloignent. Ça fait un mois que leur couple est officiel et les voir ensemble fait toujours aussi mal. Une boule se loge dans ma gorge alors que je baisse les yeux pour jouer avec le sable à mes pieds.

— Certaine de ne pas vouloir venir fêter la victoire avec nous ? s'assure une dernière fois le coach Taylor.

Armée d'un sourire engageant, je lui signifie à nouveau mon refus. La victoire dont il parle ne m'appartient pas. Bien qu'inscrite parmi les concurrentes, mais une fois n'est pas coutume, je ne me suis pas jetée à l'eau quand les jurés m'ont appelée.

Le coach s'apprête à lâcher un ultime argument pour me convaincre, mais se ravise à la dernière minute.

— Tu finiras par y arriver, prédit-il, avant de s'éloigner à grandes enjambées pour rejoindre ses oilles qui scandent son nom.

Leur départ ne suffit pas à emporter l'excitation et le bruit ambiant, puisque les organisateurs de la compétition défont les stands mis en place. Ayant besoin d'être un peu seule pour digérer ce nouvel échec cuisant, je me redresse avant de saluer les quelques personnes que je connais. Ma planche sous le bras, je remonte la plage jusqu'à une crique fermée naturellement par des roches de grès noir.

Sans hésiter, je les longe et pose mon surf sur la surface quand il y a assez de fond pour éviter que mon aileron s'enfonce dans le sable. Il me faut une petite dizaine de minutes pour contourner le rempart naturel et déboucher sur une baie sauvage à l'abri et de toute invasion humaine.

Une fois en place sur le line up, je me couche sur ma planche et m'obstine à ramer comme pour prendre la vague. Je n'oserai jamais me mettre debout, même à cette distance de la rive. Rien que l'idée me file des sueurs froides, mais je m'acharne pendant plus d'une heure. Malgré toute ma volonté, ma peur de tomber l'emporte haut la main.

Épuisée, après être revenue à mon point de départ, je me fais la morale et me rappelle que ça fait presque huit ans et qu'il faut avancer.

— Tu as le surf dans le sang !

Cette litanie répétée à moi-même n'a jamais rien donné, mais ça ne m'empêche pas de me le redire à chaque fois. Comme si, pour une fois, l'issue s'avérerait différente. Comme si elle m'apporterait le courage qu'il me manque pour sauter sur mes pieds et prendre la vague.

J'exhale et me lance, mes mouvements s'amplifiant pour gagner en vitesse, alors que dans mon dos, l'océan gronde et cherche à me rattraper. Un coup d'œil en arrière m'informe que c'est une série. Pour la dompter, il ne va pas falloir que je rate mon take off.

Concentrée, je pousse sur mes jambes et mes bras au moment où la vague me propulse vers l'avant. Et alors que je m'apprête à trouver l'équilibre, un flash vieux de huit ans embrouille tous mes muscles et m'empêche de terminer debout.

La peur me cheville l'estomac. Le son des sirènes d'hélicoptères de secours, qui n'existent que dans ma tête, se mélange au fracas d'une mer en furie. Mes doigts se plantent dans les rails pour ne pas chavirer, mon teint flirte certainement avec le livide, alors que mon traumatisme me submerge.

La série m'accompagne, me reconduisant en sécurité là où j'ai pied. Et dès que je le peux, le souffle court et le cœur qui bat comme un forcené, je me redresse à l'endroit où le danger est limité.

Ballotée par les remous autour de moi, je me suspends à mon bateau de fortune et me laisse aller sur celle-ci, afin qu'elle porte mes angoisses. Quelques clapotis s'écrasent sur mon visage, mais je m'en accommode, trop perturbée par ce bras de fer perdu avec l'océan.

Le courant me ramène sur la berge et je lève in extremis ma planche pour que les ailerons ne s'enlisent pas. En évitant de les péter encore une fois, mon portefeuille devrait me remercier et ça, ça n'a pas de prix.

Vidée, je sors de l'eau et m'écroule sur le sable, qui s'accroche à ma combinaison et à mes cheveux. De toute manière, il faudra bien repasser la barre pour contourner la barrière rocheuse et retrouver la plage principale. Et ça implique de remettre ses fesses, et plus si affinité, dans l'océan.

Mes deux échecs du jour tournent en boucle dans ma tête, se confondant à mes aptitudes passées. Avant que mon monde implose et que je sois incapable de me lever. Avant que la peur guide chacun de mes choix. À trop se préserver, on peut tout perdre.

Voilà la plus grande leçon de vie que j'ai apprise sans arriver à l'appliquer, parce que mes angoisses me clouent au sol. Le nez levé vers le ciel, je profite des rayons du soleil de cette fin d'après-midi. Mes pensées vagabondes entre mes études et mes cours de surfs, plus affligeants les uns que les autres. Même s'il faut reconnaître au coach Taylor une certaine pugnacité. Ça doit tenir du fait qu'il a vu mon potentiel s'exprimer lors de mes toutes premières compétitions. Il est persuadé que mes aptitudes ne sont pas mortes, mais bloquées. Et moi, je continue d'espérer qu'il a raison en me rendant religieusement à tous mes entrainements. À m'essayer à ce genre de prestation pathétique au moins une fois dans le week-end, quand la météo le permet.

Durant mon errance mentale, l'image de Jasper et Willa s'impose à moi. L'évidence de leur alchimie me saute aux yeux, alors même qu'ils ne sont pas là. Willa a tout pour plaire, elle est belle, élancée et talentueuse. Et puis passer à l'acte avec un garçon avec qui elle sort depuis plus de six mois ne lui fait pas peur. Comment rivaliser avec ça ?

On ne peut pas... Je ne peux pas...

Un soupir lourd m'échappe, plombant mon cœur déjà gros. Les rayons du soleil perdent peu à peu en intensité, ce qui sonne le glas du départ pour moi. Hors de question de filer de mon ilot privé sous le manteau de la nuit. À une époque mon insouciance m'aurait poussée à m'y risquer, aujourd'hui, c'est une autre histoire.

Armée de ma planche, ma microcrise d'angoisse déjà loin derrière moi, je me jette à l'eau et comme à l'aller, installe mon surf sur la surface. Je pagaille avec mes bras et passe la barre pour contourner la barrière naturelle pour retrouver la civilisation.

Sur la rive, les derniers plagistes regroupent leurs affaires et je les imite en rejoignant les miennes. Ma combinaison échoue dans un sac en plastique, avant d'être rangée dans la housse de mon surf, tandis que j'enfile mes vêtements par-dessus mon maillot mouillé.

Pas grave, ça va sécher.

Mon bien le plus précieux sous le bras, je regagne mon vélo sur lequel j'accroche ma planche, avant de me mettre en route. Vu l'heure, je risque d'être en retard. Si je veux éviter que June me serve une de ses soupes à la grimace légendaires, il va falloir se la jouer éclair jaune de Konoha.


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