Réveil

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Un bruit rapide se fit entendre.

L'atmosphère était lourde, la température était élevée. Depuis combien de temps le corps de ce jeune homme était-il allongé sur le sol de cette cavité ? On aurait pensé que la vie l'avait quitté depuis bien longtemps, mais contre toute attente, les doigts de sa main remuèrent légèrement. Il se réveillait, en piteux état certes, mais il y parvenait.

Ses premières pensées allèrent sur son inconfort. Le sol était rude. Des grains de sable s'infiltraient dans ses affaires en lambeaux et venaient se glisser dans les quelques plaies purulentes qui lui parsemaient le corps. Sa colonne vertébrale était comme figée en un seul bloc et se mouvoir lui semblait à ce moment précis, complètement impossible.

Toujours les yeux fermés, il ressentit ce qu'il restait de ses lèvres : deux morceaux de chair déshydratés comme de la viande laissée à l'air ambiant beaucoup trop longtemps pour être encore saine à manger. Il tenta de passer sa langue sur l'une d'elles pour l'humecter un tant soit peu malgré la douleur que ce simple geste lui procurait. Sans résultat. Elle était aussi sèche que ses lèvres et nulle salive ne semblait être produite. Il se racla la gorge et toussa d'un son rauque, tant la déshydratation était prononcée et s'étendait à l'intérieur de sa trachée.

Le bruit résonna à nouveau brièvement.

Le jeune homme étendu tendit l'oreille en direction du bruit. Rien. Était-ce le vacarme extérieur qui l'empêchait de percevoir à nouveau ce son délicat ? Il faut dire qu'en-dehors de la grotte, le vent cinglait l'air bruyamment. Des débris s'envolaient par moment et venaient se fracasser contre d'autres parois rocheuses au milieu de cette tempête de poussière et de sable. Certaines brises sifflaient en s'infiltrant dans la petite caverne, répondant à l'écho des courants d'air chaud qui les précédaient. La nature faisait rage. Le jeune homme avait l'impression que sa tête allait exploser.

Une fois encore, fin et soudain, le bruit inconnu se démarqua.

Puisqu'il tendait son oreille et malgré sa position délicate, l'homme comprit en fin de compte de quoi il s'agissait. C'était le bruit d'une fine goutte d'eau qui tombait du plafond et s'écrasait sur le sol. L'intérêt devenant plus puissant que le reste, le jeune homme tourna sa tête sur le côté, réveillant moult douleurs musculaires au niveau de la nuque. Il entrouvrit les paupières. La lumière pourtant tamisée de la cavité l'aveugla. Après quelques minutes dans cet état, ses yeux le piquaient toujours. Cela lui donnait l'impression qu'ils étaient rongés par le sable et la chaleur. Il en aurait eu les larmes aux yeux si seulement il avait pu. À la place, des formes abstraites se dessinaient dans une vision floutée presque en totalité.

Il ne pouvait pas compter sur sa vue pour confirmer ses hypothèses concernant l'eau qui tombait à gouttes irrégulières. Cependant, il n'attendrait pas non plus de laisser passer une occasion. S'armant de toute la force qui lui restait, il donna un léger coup d'épaule contre le sol pour se retourner sur le côté.

La douleur d'une violence qu'il n'avait jamais connue jusque-là le fit s'évanouir instantanément, visage à moitié dans le sable.

Une nouvelle goutte tomba. Elle chut au sommet de sa joue, non loin même de son oreille. Puis, par la force de gravité et la forme de son visage désormais creusé, elle glissa jusqu'au coin de ses lèvres.

Les secondes s'enchaînèrent, faisant rapidement place aux minutes et aux heures. Personne ne pourrait dire combien de temps il resta là, inerte. Mais il se réveilla. Une nouvelle fois. Le destin ne semblait pas avoir pour projet de le laisser ainsi.

Toujours immobile et dans la même position, les quelques gouttes qui tombaient et perlaient jusqu'à sa bouche étaient suffisantes pour qu'il s'éclaircisse peu à peu les idées. Il s'appelait Kaï, jeune homme d'une vingtaine d'année issu d'une famille de marchands. Il habitait Prosper, 9e planète du système stellaire du même nom, nommés tous deux ainsi grâce à la richesse environnementale qui les composait.

En effet, la planète à elle seule était parsemée de paysages tous plus extraordinaires les uns que les autres. Un tour du monde de Prosper permettait d'y découvrir tant de plaines s'étendant à perte de vue que d'océans aux mille couleurs ou encore de monts, vallées et plateaux, tantôt boisés, tantôt glacés, tantôt marécageux et tantôt déserts. Les climats y étaient aussi nombreux, passant selon la position sur la planète et la période de révolution, de climats chauds et humides aux climats les plus froids et secs, avec toutes les déclinaisons possibles et imaginables du spectre. Le système stellaire, lui, se déroulait autour de deux étoiles gravitant toutes deux autour d'un même point, sans jamais entrer en collision l'une avec l'autre. Cette architecture astrale très spéciale étant d'ailleurs la preuve pour beaucoup d'une manifestation supérieure dépassant l'entendement des simples mortels.

Quand il repensa à ce monde où il avait grandi, à sa grandeur, Kaï fût touché par un trait de mélancolie. Ses souvenirs lui semblaient tous heureux. Alors comment en était-il arrivé là ? Il devait le découvrir.

Armé de cette volonté, il se mut avec lenteur pour basculer sur le ventre. D'un effort supplémentaire, il parvint à traîner une jambe vers son torse pour se soutenir. La chair à vif de son genou venant frotter le sol sablonneux provoqua une nouvelle douleur qui le retint quelques instants dans cette position. Puis prenant son courage à deux mains, il en fit de même avec la seconde jambe. Puis il agrippa sa première main à la chaude paroi de grès. Il se hissa non sans mal et parvint après moult efforts à se tenir debout. Toujours aveuglé, il se glissa jusqu'à l'extrémité de la caverne en longeant le mur de ses mains meurtries. Il ne savait pas où il était, mais espérait au fond de lui apparaître dans l'une des prairies verdoyantes de son enfance. Il espérait que la chaleur laisserait place à une atmosphère fraîche et apaisante. Au lieu de ça, il se prit de face une bourrasque de poussière à peine eut-il sorti le bout du nez de sa caverne. Cela manqua de peu de le faire tomber à la renverse. D'instinct, il se recula et enfonça sa tête dans les fripes qu'il portait sur les épaules pour se protéger du vent.

La température extérieure était intenable. La caverne lui avait en réalité assuré une certaine protection le temps qu'il se remette.

Deux choix s'offraient alors à Kaï. Il pouvait choisir de retourner dans la cavité, profitant tant qu'il le pouvait des quelques gouttes irrégulières qui tombaient encore et se laisser finalement périr sans rien tenter. Ou il pouvait braver tous les dangers, la chaleur et la tempête de sable et de poussières, pour essayer de trouver quelques secours ou à défaut de mieux, une meilleure cache.

C'est ce dernier choix pour lequel il opta.

Il avança d'un pas dans la tempête. Puis un autre. Il sentit alors en une immense claque, une rafale de vent l'attraper. Aucune prise, il s'envola avec elle sur plusieurs dizaines de mètres de distance, avant qu'il ne heurte à nouveau le sol et ne s'effondre à son contact sur toute la longueur de son corps. Il continua à rouler ainsi à terre sur une plus courte distance, s'accrochant finalement aux restes d'un tronc d'arbre mort. Il voulut crier sa souffrance, mais sa gorge encore sèche ne fit sortir qu'un petit filet d'air inaudible dont les seules répercussions furent d'irriter ses cordes vocales de plus belle.

Il regretta amèrement d'être sorti de son refuge, mais il était trop tard pour y retourner. Kaï était désorienté et n'y voyait pas plus clair qu'avant. Il se couvrit davantage le visage pour protéger ses voies respiratoires et reprit sa route sans prendre la peine de se remettre debout. Il parvenait de cette manière à garder des prises à même le sol et diminuait sa prise au vent.

Des pensées négatives commencèrent à le hanter. Où se retrouvait-il ? Était-il même toujours sur Prosper ?

Il vivait à une époque où les conquêtes spatiales allaient bon train et où plusieurs civilisations pouvaient se guerroyer des systèmes stellaires pour de simples enjeux commerciaux ou politiques par exemple. Il était natif de cette planète, comme ses parents et les parents de ses parents avant lui. Mais la possibilité qu'il se soit fait capturer, lui simple civil, et emmené sur une autre planète n'était pas nulle. On l'aurait sans doute contraint à l'esclavage où il aurait servi d'otage contre telle ou telle demande. Cela se faisait de temps à autre.

Mais cela ne collait pas tout à fait. Il n'aurait pas été seul dans cette situation si ses théories étaient exactes. De plus, comment se serait-il retrouvé finalement isolé, à l'abri d'une caverne, au beau milieu d'un paysage chaud et aride, avec à proximité peut-être la seule source d'eau à des kilomètres à la ronde ?

La déshydratation provoquait en lui un mal de tête qui venait s'ajouter au mal-être global. Il sentait dans les paumes de ses mains des morceaux de peaux se détacher au contact des pierres brûlantes et coupantes qu'il rencontrait. Ses jambes étaient noires d'ecchymoses, de sang séché et de plaies infectées et pour certaines nécrosées. Son avancée ralentit, il était à bout de souffle. Ses yeux de malvoyant étaient mi-clos et il désespérait de voir sa situation s'améliorer à l'heure actuelle. Il s'écroula et roula sur le dos. Ses oreilles bourdonnaient du vent qui cinglait, ses sens le quittaient.

Mais alors que la vie le quittait petit à petit, un trait de couleur jaune se traça subitement dans le ciel poussiéreux au-dessus du jeune homme. Ce trait de lumière jaune puis blanche tandis que la fissure s'élargissait, laissait apparaître les deux astres au zénith. On eut dit qu'un souffle d'air avait scindé le ciel en deux pour ouvrir le passage vers Kaï. Tandis qu'il s'évanouissait une nouvelle fois, une silhouette imposante apparut non loin de l'homme. Elle s'approcha, très vite rejointe par les silhouettes de tout un groupe, plus petites en taille que la première. Tous reliés entre eux par des cordes tressées, le groupe se rapprocha du jeune homme. La silhouette en tête de peloton fut la première à atteindre le garçon et le dépassa sans s'arrêter. D'une voix posée et autoritaire soulignant l'imposante carrure, elle ordonna au reste du groupe :

— "Ramassez-le, on l'embarque ! Et hydratez-le !"

Une autre silhouette rétorqua qu'ils n'avaient pas d'eau à perdre pour un cadavre. Elle stoppa son avancée et se retourna avec grâce au cœur de la tempête. Sans mot dire, elle revint sur ses pas. Près de Kaï, elle posa un genou à terre et prit sa propre gourde accrochée à sa ceinture. Elle la dévissa sans précipitation et en versa quelques gouttes sur le front du jeune homme. Puis elle vida le contenu restant directement dans la bouche de Kaï.

Quelques protestations fusèrent qu'elle fit taire avec un simple geste de la main. Le silence revenu, elle reprit sa marche :

— "Sachez simplement que j'en aurais fait autant pour n'importe lequel d'entre vous."

Le groupe s'occupa de récupérer Kaï et de le hisser en haut de la cargaison qu'il transportait. Il reprit enfin la route, toujours accompagné par cette mystérieuse accalmie dans la tempête, à travers les étendues de roches, de sable et de terre qui jonchaient le sol.

Prosper : La fin n'est qu'un débutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant