15 - L'horreur du centre d'Onivac

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En 1252 H, la firme séculaire Fifth Axon Corporation* mit au point un appareil capable de stocker une pensée. Le brevet à peine signé, l'opinion publique s'en mêla, faisant part d'une vive inquiétude à l'égard de cette technologie. Des mots comme « voyeurisme » ou encore « violation de l'intimité intrinsèque » ressortirent dans diverses pétitions à l'égard des industriels et de l'Union. La lutte ne fut pas vaine, car le Conseil suprême d'Irill publia un arrêté visant à limiter l'usage de la matière psychorémanente, le support de stockage mémoriel tant décrié.

« L'illusion du rêve azur » par Ronald Stevensen, article paru dans le 192e numéro de l'hebdomadaire Scientek, 1860 H.

*Fifth Axon Corporation : Société du cinquième axone

Quatre grosses boules blanches hachurées de rouge et en forme d'œuf reposaient dans la pénombre du premier étage. À la base de chacune d'entre elles se distinguait le pourtour parabolique de la cuvette de sustentation. Cette dernière servait à faire décoller les cabines d'Onivac de quelques millimètres pendant les sessions oniriques, car la lévitation favorisait l'immersion du rêve. Du sommet émergeait une épaisse gaine de caoutchouc retombant mollement le long de la coque. Les quatre gaines serpentaient sur le sol en terminant leur course sur un tableau fermement ancré par six écrous massifs. La phrase « Propriété de la Fifth Axon Corporation » ressortait en relief, suivie d'un message à l'attention du personnel de maintenance : « Attention, passage de gel psychorémanent à haute pression, habilitation B800-1 classe E requise pour toute intervention. »

Les trois premières cabines refusaient de s'ouvrir. Le petit hublot de contrôle permit tout de même à Hannah de s'assurer que personne n'y avait été enfermé. La dernière cabine, vide également, présentait des traces d'usure prononcées, comme si elle avait été forcée.

Hannah effleura la plaque de triniprène, un solide alliage de palladium-cuivre doublé d'une feuille de polymère, ici utilisé pour ses propriétés d'isolation phonique, et s'étonna de son relief cabossé. Une force phénoménale avait dû être déployée pour parvenir à déformer à ce point le matériau ultrarésistant. Cela apporta quelques indices sur les circonstances de l'évacuation. C'est l'œuvre d'une machine ou d'un androïde. Les lieux ont été évacués après la coupure de courant. Le client de cet Onivac a bénéficié d'une aide extérieure pour sortir de là. Mais où se sont-ils tous réfugiés ?

Ce niveau ne présentait plus grand intérêt pour qu'elle s'y attarde. Elle préféra se diriger vers la source d'agitation des arbres en faisant l'impasse sur l'étage inférieur. Pour cela, elle rejoignit l'échelle, poussa ensuite le petit portillon de sécurité, et agrippa fermement un barreau.

L'éclairage faiblard des néons de secours luttait désespérément pour percer la couche végétale. Autour d'elle nichaient les quatre Onivac de l'étage le plus profond, dont elle devinait la silhouette grâce aux quelques reflets parvenus à sa rétine. Le reste n'était que formes abstraites, quasiment imperceptibles, fabriquées de toutes pièces par son esprit pour tenter de compenser l'absence d'information.

Une minute s'écoula.

Hannah parvint à atteindre le bout de l'échelle. Impossible de savoir à quelle distance se trouvait le sol dans cette obscurité. Elle se rappela soudain le paquet de phosphogum déposé dans sa sacoche par sa meilleure amie. De sa main libre, elle fit précautionneusement glisser la lanière de cuir synthétique hors de l'anneau métallique. La petite boîte ronde subsistait là où l'avait laissé Becky. Hannah en sortit un phosphogum qu'elle porta à sa bouche. Elle mâcha énergiquement la gomme phosphorescente dans le but d'en tirer le plus grand bénéfice, puis la jeta dans la pénombre. Elle évalua la distance qui la séparait du nimbe verdoyant à environ un mètre cinquante. De son bras valide, elle se suspendit au dernier barreau, toucha le sol du bout du pied, pour enfin se laisser choir et atterrir en douceur.

Le cycle d'Hélios : I. Routine Epsilon [Autoédité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant