Première partie

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La pluie d'or s'évanouit en pénombre dans la pièce grise. Il fit bientôt complètement noir. Elle sentit une présence inhabituelle, complètement nouvelle. Elle savait qu'elle aurait dû avoir peur, ou au moins ressentir de l'appréhension, mais elle était sûre d'elle et le léger voile doré l'avant encore rassurée s'il en eut été besoin. Elle se laissa aller.

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L'histoire avait commencé alors qu'elle était encore toute jeune. À vrai dire, elle pouvait peut-être remonter à une époque dont la petite fille n'avait que des bribes de souvenir. Son père, Acrisios, fils d'Abas, était roi d'Argos. En tant que tel, il avait été un père peu aimant et, à bien y regarder, absent pour son épouse Eurydice, fille de Lacédémon, et leurs deux filles, Évarété et Danaé. Cela n'eût rien été si Eurydice avait pallié ce manque d'intérêt mais elle ne vivait que dans l'ombre de son époux. Elle lui avait donné tant d'amour sans rien recevoir en retour qu'elle n'en avait plus pour ses filles. C'eût été différent si elle avait eu des fils pour perpétuer la lignée d'Argos. Cela eût éloigné Proétos, jumeau d'Acrisios, des prétentions au trône. Mais les Moires en avaient décidé autrement.

Danaé et sa sœur aînée Évarété avaient donc été élevées par une nourrice du nom d'Euryclée. Sans pouvoir remplacer des parents négligents, elle avait adouci leur enfance. Les fillettes étaient aussi différentes que l'aurore et le crépuscule, l'une apportant le jour et l'autre la nuit. L'aînée, la plus sombre, se conformait sans difficulté aux exigences de la cour d'Argos. Elle était à peine jolie avec ses cheveux foncés et son allure peu avenante, même enfant, mais savait flatter et se détacha très tôt de la nourrice vieillissante, consciente de son importance en tant que princesse alors que la plus jeune, lumineuse, ne montrait aucun intérêt pour les mondanités et s'échappait dès qu'elle le pouvait. Danaé était aussi merveilleusement belle. Dans l'enfance, les aèdes racontaient qu'elle était telle une fleur sur le point d'éclore à l'orée du plus magnifique des printemps. Ses longs cheveux blonds tressés de fleurs battaient son dos lorsqu'elle courait la campagne rocailleuse, loin de la surveillance du palais, et ses yeux en amande couleur brun-doré brillaient de vivacité. Elle pouvait passer des journées écrasantes de chaleur à jouer les pieds dans l'eau du fleuve Inachos avant de s'allonger à l'ombre d'un grand olivier à contempler le ciel à travers le feuillage, quand le reste de la noblesse tentait de trouver un peu de fraîcheur à l'intérieur des palais que Danaé trouvait étouffants.

Les filles grandirent et le fossé entre elles s'accentua. Évarété enviait à sa sœur sa beauté et les prétendants qui affluaient déjà à ses pieds d'enfant dans une ritournelle qui donnait la nausée à Danaé. Elle-même était tombée dans l'indifférence la plus totale à l'égard de son aînée mais regrettait malgré tout la solitude qui l'entourait. Lorsqu'on est si belle, on n'est pas aimée pour qui l'on est. Il n'y avait bien que sa nourrice pour l'aimer telle qu'elle était vraiment, avec ses petits défauts comme une légère arrogance envers les sots autour d'elle. Danaé ne manquait pas d'intelligence pratique, mais Évarété était une intellectuelle. Malgré la contrariété que cela fit naître chez son père, elle apprit à lire et les rudiments d'autres savoirs, tels les mathématiques et la rhétorique. Elle au moins était déjà admirée pour son habileté dans les arts tandis que Danaé devait subir les avances d'hommes d'âge à être son grand-père. La main de son aînée n'était pas très recherchée, seulement dans le vague espoir de faire main basse sur Argos à la mort d'Acrisios, mais les tractations se passaient de courtiser Évarété. Il n'en demeurait pas moins que leur innocence ne fut pas protégée par leur père.

Lorsque l'aînée fut nubile, elle fut présentée à une pythie qui exerçait à plus d'une semaine de voyage. Danaé trépignait de curiosité de savoir ce qu'il se passerait, mais son père refusa qu'elle vînt avec eux, si bien qu'elle se glissa dans le convoi. Lorsqu'elle fut découverte, il était trop tard pour la ramener à Argos. Elle fut autorisée à rester, sous bonne garde. Bien entendu, elle ne put assister à la déclaration de la prophétie, néanmoins l'ambiance était très excitante, quoique l'oracle se révéla décevant. Rien de particulier ne transparut. Aussi, la petite procession regagna lentement Argos sous la déception d'Acrisios. Sa sévérité envers ses filles fit place à une agressivité accrue. Pour Évarété, il ne voyait plus que le mariage, qu'il souhaitait le plus politique possible. À sa grande surprise, car il la tenait en piètre estime, les demandes affluèrent bientôt. Lors des tenues de la cour, chacun put constater que l'héritière du trône d'Argos disposait d'atouts politiques dont était dépourvu son père.

Danaé pour sa part avait de plus en plus de mal à échapper à la cour. Sa nourrice avait été renvoyée et remplacée par une sorte de gouvernante qui s'échinait, sans succès, à lui apprendre la bienséance. Ce fut à cette période que la reine Eurydice mourut. Ses filles durent la pleurer en public, ainsi que son mari, toutefois elle ne fut pas sincèrement regrettée. Au contraire, Évarété, qui avait désormais dix-huit ans, y vit l'occasion de prendre une place politique plus importante que ce qui était autorisé à une femme. Sa main fut d'autant plus convoitée mais le choix du conjoint fut repoussé jusqu'à ce que Danaé fût pubère également et présentée pour un oracle à son tour.

Cette fois qu'elle était concernée, la jeune fille était beaucoup moins enthousiaste. Les mots qui sortiraient de la bouche de la pythie pouvaient très bien sceller son destin. Elle avait raison.

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Voilà pour la première partie de cette nouvelle histoire qui se passe dans la Grèce mythique, comme La Neuvième Muse également disponible sur mon Wattpad. J'espère que ça vous a plu, n'hésitez pas à mettre une étoile et mieux encore pour m'aider à m'améliorer ou m'encourager : des commentaires !

A chaque partie je mettrai un tableau représentant ce mythe, je les trouve souvent fascinants ! Danaé, Gustave Klimt, 1907

A chaque partie je mettrai un tableau représentant ce mythe, je les trouve souvent fascinants ! Danaé, Gustave Klimt, 1907

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La pluie d'orOù les histoires vivent. Découvrez maintenant