Dans la pièce sombre et enfumée, Danaé avait été présentée. Son père était assis à côté d'elle, le front plissé, ses doigts se convulsant sur ses cuisses. Sa fille se demandait s'il avait été aussi nerveux pour sa sœur et déduisit que oui. Le bruit courait qu'il avait déjà été déçu deux fois par la pythie. La première fois, lors de la bataille pour son accession au trône, quand elle avait prédit qu'il n'aurait pas de fils ; la deuxième, lors de la présentation d' Évarété, qui ne lui avait absolument rien appris.Quand les pythies avaient vraiment un message d'Apollon à transmettre, c'était rarement une bonne nouvelle pour les concernés. La prédiction commença bien. Elle rappela l'ascendance prestigieuse de Danaé — après tout, la lignée des rois d'Argos ne se disait-elle pas enfantée de Zeus ? —, s'attarda sur sa beauté, sans paraître émue de ce qu'elle disait. Tout à coup la voix se fit vibrante, l'air fut parcouru de frissons et les paroles tombèrent comme des sentences.
— La beauté de Danaé ne sera que malédiction car son fils, enfant de dieu, tuera son grand-père.
Acrisios eut beau abreuver la pythie de questions, lui proposer argent, or et trésors, et tenté de la secouer, il fut mis à la porte par les serviteurs du temple avec sa fille ahurie. Elle était à peine menstruée et on lui parlait d'un fils, d'un dieu et du décès de son père.
Le retour à Argos se fit dans un silence de mort. Au palais, Acrisios s'enferma dans ses appartements et ordonna qu'il en fût de même pour sa fille. Pendant de longues journées, elle ignora totalement ce qu'il se passait en dehors des pièces qui lui étaient dévolues. Au moins, elle n'avait plus de leçons à suivre ; à la place elle s'ennuyait et la campagne lui manquait beaucoup.
Un jour enfin, Évarété entra. Elle n'avait pas visité sa sœur depuis plusieurs jours et fut bien accueillie.
— Alors, quelles sont les nouvelles ? Vais-je pouvoir sortir bientôt ?
— Je viens te parler à ce propos. Père a décidé la construction d'une tour. Les travaux avancent bien, elle devrait être prête d'ici quelques temps et tu pourras...
— Une tour ? Mais pourquoi ? s'étonna Danaé.
— L'oracle dit que ton fils le tuerait, Père n'a d'autre choix que se protéger.
— Mais et moi alors ? Vous ne feriez moins de rien que m'emprisonner. On ne sait même pas si la prédiction dit vrai. Plus on y croit, plus elle a de chances de se réaliser, tu ne penses pas ?
— Ne sois pas idiote.
— On meurt tous un jour, pourquoi pas père ?
Évarété recula et s'agrippa à une chaise, choquée.
— Pardon, je ne voulais pas dire cela, dit Danaé, contrite. Évidemment que...
— Tais-toi ! cria sa sœur d'une voix suraiguë. J'en ai assez entendu.
Elle laissa Danaé seule, accablée par ses propres mots. Évoquer le parricide dans la société, même de façon hypothétique et indirecte, était un blasphème. Seule la pythie en avait le droit.
Les semaines passèrent. Danaé était immanquablement seule. Sa sœur ne venait plus la visiter. Une unique domestique était autorisée à la servir, sans permission de lui parler. La jeune fille eut de plus en plus de mal à s'alimenter et s'amaigrit à vue d'œil jusqu'à ce qu'un jour, la tour fût prête.
*****
Elle se dressait dans toute sa superbe à l'écart de la ville, suffisamment proche pour être commodément ralliée mais assez loin pour qu'on ne la vît pas dans le creux rocailleux où elle semblait à demi enterrée. Sous le dur soleil de Grèce, Danaé ne reconnut pas immédiatement le matériau qui la constituait : de l'airain. À cette heure, c'était bien le cadet de ses soucis. Elle fut conduite sous solide escorte vers sa geôle ; quoi qu'en eut dit sa sœur, c'était de cela qu'il s'agissait. Sa prison était gardée par une petite meute de chiens qui se relayaient, si bien qu'on eût dit qu'ils ne dormaient jamais. Le seul allègement de son cœur était le retour de sa vieille nourrice, Euryclée. Aucune autre femme n'avait voulu la servir. Cela lui convenait parfaitement. Danaé avait alors quinze ans.
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La pluie d'or
FantasíaAlors qu'elle n'est qu'une enfant, Danaé devient l'objet d'une prophétie dont on veut la marquer à vie. Devenue jeune femme, elle ne cessera de s'opposer à ce que les autres décident pour elle. ***** Cette nouvelle est une réécriture d'un mythe grec...