8. Au pied du précipice

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   Entravé en position agenouillée, le dos lacéré par le fouet et saignant, je fus jeté devant l'Ubar.

J'étais prisonnier dans son camp depuis neuf jours, soumis à la
torture et aux insultes. Cependant, c'était la première fois que je le voyais depuis que je lui avais sauvé la vie. Je conclus qu'il avait enfin jugé bon de mettre un terme aux souffrances du Guerrier qui avait volé la Pierre du Foyer de sa Cité.

Un des tarniers de Marlenus m'empoigna par les cheveux pour me contraindre à poser mes lèvres sur sa botte. Je redressai de force la tête et gardai le dos droit, mon regard ne consentant aucune satisfaction à mon ravisseur. J'étais agenouillé sur le sol granitique d'une caverne peu profonde dans un pic des Voltaï, entre deux foyers abrités. Devant moi, sur un trône sommaire de rochers
entassés, était assis Marlenus, ses longs cheveux rassemblé par une fronde en caoutchouc, sa grande barbe arrivant presque à son ceinturon.

C'était un homme gigantesque, plus grand même que mon père, et, dans ses yeux verts farouches, je vis la flamme dominatrice qui, à sa façon, brûlait aussi dans les yeux d'Irys, sa fille.

Bien que je dusse mourir entre les mains de ce barbare magnifique, je n'éprouvais aucune animosité à son égard. Si j'avais dû le tuer, je l'aurais fait, non avec haine ou rancoeur, mais plutôt avec respect.

Autour du cou, il portait la chaîne d'or
des Ubars, avec la réplique de la Pierre du Foyer d'Ar en médaillon. Dans ses mains, il tenait la Pierre elle-même, cette humble source de tant de luttes, de sang versé et d'honneur. Il la tenait avec précaution, comme s'il s'était agi d'un
enfant.

À l'entrée de la caverne, deux de ses
hommes avaient planté une lance de
tharlarion, du genre de celle portée par Kuris et ses compagnons, dans une crevasse visiblement préparée pour la recevoir. Je suppose qu'elle était destinée à servir à mon empalement.

Il y a diverses manières de procéder à ce cruel mode d'exécution et, inutile de le préciser, certaines sont plus miséricordieuses que d'autres. Je ne m'attendais pas qu'on m'accordât une mort rapide.

— C'est toi qui as volé la Pierre du Foyer d'Ar ? dit Marlenus.

— Oui!

— Belle réussite ! commenta Marlenus qui contemplait la Pierre en la tenant de façon à faire jouer la lumière sur sa surface usée.

Agenouillé à ses pieds, j'attendis,
surpris que, comme les autres dans son camp, il ne manifeste aucun intérêt pour le sort de sa fille.

— Tu te rends bien compte qu'il faut que tu meures, reprit Marlenus sans me regarder.

— Oui, répondis-je.

Tenant la Pierre du Foyer à deux mains, Marlenus se pencha en avant.

— Tu es un jeune Guerrier brave et
stupide, déclara-t-il. (Il plongea son
regard dans le mien pendant un long
moment, puis se radossa à son trône
rudimentaire.) J'ai été autrefois aussi
jeune et brave que toi, oui, et peut-être aussi stupide. (Le regard de Marlenus se perdit par-dessus ma tête dans l'obscurité extérieure.) J'ai risqué ma vie un millier de fois et consacré les années de ma jeunesse à un rêve d'Empire pour Ar, afin qu'il n'y ait, sur tout York, qu'une langue, qu'un commerce, qu'une série de
codes, que les routes et les défilés soient sûrs, que les paysans cultivent leurschamps en paix, qu'il n'y ait qu'un Conseil pour décider des problèmes de politique, qu'il n'y ait qu'une Cité Suprême pour unir les cylindres d'une centaine de cités désunies, hostiles, et tout cela, tu l'as détruit! (Marlenus abaissa sur moi son regard.) Que peux-tu savoir de ces choses, toi, un simple tarnier ? Mais moi, Marlenus, bien que Guerrier, j'ai été plus qu'un Guerrier, toujours plus
qu'un Guerrier. Où d'autres ne voyaient rien de plus que les codes de leur caste, où d'autres ne ressentaient aucun appel du devoir en dehors de celui de leur Pierre de Foyer, j'ai osé rêver le rêve d'Ar, pour que cessent enfin les guerres insensées, les effusions de sang et la terreur; que cessent l'anxiété et le danger, la vengeance et la Cruauté qui
assombrissent notre vie; j'ai rêvé qu'il
pourrait jaillir des cendres des
conquêtes d'Ar un monde nouveau, un monde d'honneur et d'ordre, de
puissance et de justice.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 12, 2023 ⏰

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