Ta naissance

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En ce vingt cinq janvier, tu aurais du avoir vingt sept ans. Mais voilà, tu ne les auras pas.

Avec ce simple constat, je sens mon âme trembler et se renverser. Je n'aurais jamais pensé que tu partirais, et sans moi.

Je ne sais pas pourquoi j'éprouve ce besoin, mais me voilà assis à un bureau, la tête entre les mains, essayant, tentative vaine déjà, écrivant ces mots.

Ta vie commence le vingt cinq janvier, un mois après noël, un jour de pluie. L'importance de ce détail t'échappe à ce moment, mais bientôt, tout sera gravé dans ta tête. Ta mère, Emilie, a perdu les eaux, et elle est seule dans cette maison qui deviendra bientôt la tienne. Tu sais, tu devais arriver un mois après, mais, tu as toujours été à l'avance pour tout. Ton arrivée, ton départ, et dans bien d'autres domaines. Quand elle a accouché de toi, ton père, Terry venait d'arriver et en entendant hurler -toi, tes petits cris- il s'est précipité dans la chambre. Il partait d'une journée passé avec ses amis, qu'il ne reverra pas, et la pluie l'avait retardé -et, s'il était arrivé rien que cinq minutes avant, tout aurait changé.

Il t'a sûrement prit dans ses bras pour dire bonjour à son enfant, à sa petite fille qu'il attendait depuis plus de neuf mois, neuf mois et une vie, et il n'a pas vu. Je comprends. Si notre enfant avait existé, jamais je n'aurais osé le lâcher du regard : j'aurais eu tellement peur qu'il s'envole.

Au final, tu ne t'es pas envolée ce jour là, mais ta mère si. Emilie est décédée en te donnant la vie, en choisissant que tu devais respirer pour elle, sans même savoir que cette mission qu'elle t'avait donné allait t'empêcher d'inspirer comme tu le voulais. A croire que tu pensais que cette vie dont elle t'avait fait don était une malédiction.

Quand ton père s'en ait rendu compte, il était déjà trop tard, et il t'a posé sur un couffin, en ignorant tes râles qui exprimaient ta faim. Finalement, c'est ta voisine -celle qui deviendra bientôt aussi la mienne- qui est venue en t'entendant et c'est elle qui t'a lavé. Tes premiers souffles de vie, tu les as passé dans les bras de Thérèse, elle qui caressait son joli visage en te réchauffant, pendant que Terry pleurait dans la main d'Emilie. Thérèse s'est occupé de toi comme de sa fille, comme si cette dernière n'était pas morte quelques années avant d'une maladie.

Thérèse m'a toujours dit que tu étais le bébé le plus silencieux qu'elle n'avait jamais vu : selon ses dires, tu dormais sans cesse, réclamant à peine la nourriture que tu mourais d'envie d'avaler. Personnellement, je ne peux m'empêcher de penser que tu avais déjà compris que tu devais être discrète, ou alors peut être que tu jouais la morte en espérant qu'ainsi, on t'oublierait. Pourtant, jamais les personnes pour qui tu comptais déjà n'ont réussi à t'oublier. Le verbe réussir ne me correspond pas, à vrai dire, il place ton oubli comme une réussite, mais je n'avais jamais eu autant peur de quelque chose. Je ne veux pas que tu partes de mon esprit. Je ne veux pas que mes souvenirs de toi deviennent souvenir d'un souvenir, je veux garder ton visage en moi comme la seule chose qui pourra me ramener à la raison.

Durant les mois qui ont suivi ta naissance, Terry a retrouvé Emilie dans chaque verre qu'il buvait, et dans chaque illusion qui venait alors qu'il se noyait sous l'alcool. Je suppose que l'on peut remercier Thérèse pour ta survie : elle te nourrissait, te lavait et ce sans demander quoi que ce soit à ton père. Quand elle ne pouvait pas venir des jours durant, Thérèse m'a raconté, tu restais couchée dans ton lit, dans tous les fluides que tu rejetais de manière naturelle, et quand elle revenait, tu étais affamée, mais qu'à aucun moment tu ne pleurais. Il était même arrivé que Thérèse te prenne des semaines entières sans que Terry s'en rende compte. Plongé sous la boisson, il t'oubliait.

Je suis désormais sûr qu'avec ce que je fais maintenant, plus personne ne t'oubliera. Tout ce que tu as vécu sera désormais écrit.

La maison de l'horreur [Bucky Barnes]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant