Notre rencontre

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Notre rencontre, nous la devons à Thérèse.

Un mardi, un deux mars, alors que nous sommes tout deux âgés de dix ans, je déménage dans la maison qui se retrouve en miroir de la tienne. A la gauche de ta maison, se trouve celle de Thérèse, et encore à la gauche de cette dernière, c'est la mienne. Ma mère vient de se remarier après le décès de mon père, je suis plutôt triste, mais je suppose qu'il reviendra me chercher un jour, sans comprendre qu'il est parti et pour toujours. Je m'installe à la fenêtre de ma chambre, humant alors une odeur de gâteau qui cuit, et j'observe attentivement la maison d'à côté, celle de Thérèse.

- Va faire un tour, bonhomme ! s'exclame mon beau père, Charles
- D'accord.

Je n'ai aucune envie d'y aller, alors, d'un pas mollasson, je fais quelques pas, puis on me hèle à nouveau, et c'est cette fois ci une femme, la cinquantaine, à sa fenêtre, qui porte une tarte à la main.

- Quel est ton prénom ? s'intéresse t elle
- James, mais mes amis m'appellent Bucky.

Elle rigole en voyant que j'ai l'air terriblement fier de ce sobriquet, ce que je suis, et je souris également.

- Tu viens d'emménager ?
- Oui, je réponds.
- Viens manger une part de la tarte à la pomme que j'ai fais, tu vas avoir froid dehors.

Sans plus de débat, je rentre chez elle, et Thérèse me mène ensuite jusqu'à sa cuisine : le carrelage y est marron, il y a la gamelle d'un animal au sol, mais surtout, il y a toi, toi qui sort des assiettes, pour Thérèse et toi.

- Chérie, on a un invité, tu veux bien sortir une assiette en plus ?

A ces mots, tu lèves tes yeux vers moi, ton regard ébène qui me transpercent à travers ta frange blonde bien trop longues, comme si tu essayais de comprendre un problème en mathématique, qui n'aurait pas été de notre niveau. Aussitôt, j'ai cette sensation que je suffoque et mes joues se teintent d'une couleur que tu ne manques pas de remarquer. Tu hoches la tête puis attrapes une troisième assiette pour la poser dans le tas, que Thérèse ne manque pas de prendre dans la seconde, en murmurant :

- Je ne veux pas que tu te blesses avec ces maudits couverts, ils sont bien trop lourds, moi même parfois ils me font tomber par terre.

Je pouffe, et tes lèvres s'étirent en un rictus discret.

- Je m'appelle Bucky, me présentais je en te tendant la main en esquissant une moue chaleureuse
- Eleanor.

Ta voix est le son le plus doux qui existe sur cette terre, pour certains, peut être, tu parlais trop bas. Mais je t'ai toujours entendu, même dans le chaos le plus total des fêtes, ou bien quand la seule preuve qui existait que tu avais parlé était la caresse que tu produisais dans mon oreille.

- Je suis sûre que vous allez bien vous entendre !

Le ton amusé de Thérèse m'a fait penser à ce futur que l'on allait partager, en tant qu'amis, puis elle nous a invité à prendre place à la table où elle posait tous les couverts. Je me suis assis en face de toi, et Thérèse nous séparait sans même le savoir. Je me rappelle encore du goût acide de la pomme : c'était la meilleure tarte à la pomme que j'ai jamais mangé, je ne saurais pas dire si la cuisine de Thérèse était excellente à ce point ou si c'est toi qui a rendu ce gâteau meilleur par ta simple présence. J'ai souvent entendu dire que les repas sont meilleurs quand nous sommes entourés par les bonnes personnes. Je ne sais pas te dire comment et pourquoi j'en étais persuadé, mais j'avais trouvé ma deuxième famille.

- Merci beaucoup, votre tarte est très bonne.

C'est à ce compliment que Thérèse rit doucement, en rosissant de plaisir, alors que tu pinces les lèvres, en réalisant que tu n'avais pas complimenté le goûter qu'elle nous offrait. Tu te sentais toujours coupable, de mille et une chose, comme si le simple fait de respirer était pour toi un péché.

- Vous êtes fille et mère ? demandé-je
- Oh non, pouffa Thérèse. C'est la fille d'un voisin, je la garde le temps qu'il travaille.

Je ne le savais pas, mais Thérèse venait de me mentir.

Ta famille est d'une grande richesse, Terry n'a jamais eu à travailler. En réalité, il passait ses journées au bar, à boire, à rigoler ou bien dans les bras de différentes prostituées. Le plus souvent, il rentrait vers vingt heures, ignorant totalement sa fille, alors qu'il aurait dû te donner le monde. Tu lisais dans son lit jusqu'à t'écrouler de fatigue tous les soirs.

Quand tes yeux se fermaient, désormais Thérèse ne veillait plus sur toi, et tu étais seule, seule comme un enfant n'est pas censé l'être, serrant alors une vulgaire peluche comme si elle aurait pu te chuchoter à l'oreille qu'elle t'aimait. Comme si ce murmure aurait pu remplacer un baiser sur le front de ta mère, ou bien un sourire de ton père. Je sais que tu ne demandais pas plus que ça : juste un sourire, ou du moins un regard, et peut être, peut être, une parole encourageante, des mots d'amour.

Tu ne voulais que ça.

- J'ai des affaires qui pourraient te plaire, James, tu veux venir ? me propose Thérèse
- Bucky, la corrigé-je, avant d'acquiescer.

Elle me mène alors jusqu'à une petite pièce, où une odeur de parfum figé hante les lieux, ainsi qu'un lit, où des draps, en chaos, semblent évanouis dans le temps. Je lance un regard curieux sur tout le restant de la pièce, que Thérèse semble intercepter, pourtant elle ne dit rien. Il s'agit de la chambre de sa fille morte, je le sais maintenant, mais à l'époque, j'étais terrifié. Elle sort d'une armoire un carton, tout petit, et elle me sourit.

- Amène le chez toi et garde ce qui te plaît. Désolée, Eleanor a déjà prit quelques livres, mais s'ils t'intéressent, parle lui en.

Je hoche la tête, puis me tourne, pour croiser ton regard.

- Tu habites où ? Précisément, demandé-je
- Juste la maison à côté, me réponds tu.
- Je pourrais passer pour voir si tu as des livres qui m'intéressent ?

J'observe ton visage : tes lèvres tremblent, et je ne comprends pas pourquoi : j'ai réalisé plus tard qu'elles font ce mouvement souvent, quand tu réfléchis, ce qui faisait que j'avais souvent peur que tu pleures. Tu n'as pleuré qu'une seule fois devant moi.

- Je t'amènerais les livres, tranches tu.

Perplexe, je montre mon accord d'un signe de la tête, en trouvant l'idée que tu me proposes drôlement étrange.

La maison de l'horreur [Bucky Barnes]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant