En signe de paix, je lève les mains en l'air, paumes ouvertes.
—Vous êtes muet, débile ou pervers ? Les trois peut-être ? Oh, je vous parle !
Je la sens qui bouillonne. Elle arme son fusil. Je rêve, elle va réellement me tirer dessus ? Pourtant, je ne dis rien. Je pourrais parler, lui expliquer pourquoi je suis là, mais non. Je me sens diviser. Je pourrais régler cette situation en lui montrant ma carte de visite ou tout simplement en m'en allant, mais je reste là.
La curiosité à prit le dessus sur la raison.
J'ai envie de voir jusqu'où elle va aller. Moi qui me demandais comment je pourrais aborder le sujet des métamorphes, elle me sert une occasion sur un plateau. Ça serait brutal certes mais y a-t-il une réellement manière d'aborder le sujet ? De toute façon, elle sait que mon espèce existe. Elle n'aurait pas pu écrire autant sur les métamorphes, pas avec autant de précision.
Allez ma jolie, tire-moi dessus. J'ai hâte de voir ta réaction
—Pour la dernière fois. Qui êtes-vous ?!
Ça y est, elle panique. Enfin, une réaction normale vue la situation.
—Je viens de vous le dire. Je suis Ayden Moore. Je travaille pour la maison d'édition B&M. Nous avons reçu votre manuscrit. Nous devions nous voir aujourd'hui, chez vous à dix-huit trente pour échanger à ce propos.
Je fais un pas vers elle. Emy me fixe. J'inspire profondément pour humer l'air. Je veux la sentir, connaitre son parfum. Une odeur me parvient. Ce n'est pas la sienne. Mon loup s'énerve.
Qu'est-ce que ce connard fait ici ? M'a-t-il suivi ?
Au même moment, Emy se détourne de moi. Le canon de son fusil semble chercher quelque chose à l'horizon. Le temps d'un instant, la pluie s'arrête, le vent également. Il n'y a plus aucun bruit. Je baisse les yeux sur elle. Qui peut-elle bien être ? Je sens une énergie primitive s'échapper de son corps. Elle qui me paraissait si frêle, si fragile.
Là c'est une tout autre histoire.
Je ressens une certaine puissance, une force féminine, sensuelle et pourtant létale émaner d'elle. Je ne comprends pas pourquoi elle me tourne subitement le dos. Elle ne peut pas avoir perçu la présence de Gabriel. Seul un métamorphe peut sentir la présence d'un autre. À cette distance du moins. De ce que je sais, Emy Black n'appartient pas à mon espèce. Je ne sens pas la force de son animal intérieur. Et puis, elle est totalement stone. Non, c'est impossible qu'elle soit en mesure de ressentir la présence de Gabriel et pourtant, elle regarde droit dans sa direction.
—Il est revenu, murmure-t-elle.
Je n'ai pas le temps de m'approcher davantage, pour lui retirer l'arme des mains. Elle avance, sous la pluie battante et elle tire.
Une fois.
Deux fois.
Elle sort deux balles de sa poche.
Recharge, puis continue d'avancer et recommence.
Une fois.
Deux.
Elle finit par faire volte-face et sans lâcher son fusil, elle vient se poster devant moi. Je suis sous le choc. Ciara a totalement réduit la vie de cette femme en miettes. Je perçois son emprise. Les victimes de Ciara ont toujours ce regard absent. Normalement, elles ne vivent pas assez longtemps pour sombrer dans la folie. Je ne comprends pas pourquoi elle a décidé d'agir différemment avec cette fille. Que cherche-t-elle ?
Avec la plus grande lenteur, Emy plie les genoux pour poser son arme au sol. Elle ne me quitte pas des yeux. Je fais de même. Je perçois clairement à son regard qu'elle n'est pas totalement ici et qu'en même temps elle est très présente, comme dans une autre réalité.
—Vous êtes lui ou vous êtes l'autre ? demande-t-elle.
Je ne sais pas quoi lui répondre. Je pense comprendre sa question, mais je ne peux rien avouer tant que je ne suis pas certain qu'elle a bien compris ce qui se passe. Comme je ne réponds pas, elle lève la main et l'approche de moi.
Elle hésite et finalement, elle me touche. Quand ses doigts entrent en contact avec ma peau, elle soupire. Non, à vrai dire, elle gémit. Le son de son gémissement est subtil et étouffé, mais je l'entends quand même. Je ne bouge pas d'un pouce. Je ne peux pas. Si je le fais, je la dévore.
Un bruit se fait entendre au loin. Elle se fige. Je sens qu'elle voudrait regarder la forêt, pour vérifier que la chose sur laquelle elle a tiré n'est pas en train de s'avancer vers nous, mais elle ne le fait pas. Un grognement retentit, elle m'agrippe. Se colle à moi et ne me lâche plus. Elle n'est ni grande ni petite, mais à côté de moi, Emy Black parait minuscule. Je n'ai rien dit pour l'instant, mais une part d'elle sait qui je suis réellement, j'en mettrais ma main au feu. Elle me colle. Son kimono en soi ne la protège plus de rien.
Ni de l'eau, ni du vent, ni du froid, ni de moi.
—Il est là ! Il est toujours là. Il ne s'en va jamais !
Je ne peux pas en supporter davantage. Je ne sais pas depuis combien de temps nous sommes sous la pluie l'un et l'autre, mais je ne peux plus jouer à ce petit jeu. Je suis sur le point de commettre une erreur, je le sais. Je compte jusqu'à cinq et mes valeurs l'emportent sur ma raison, comme sur les lois de mon espèce.
—Il n'ira pas plus loin, tant que je suis là. Il le sait. Il n'a pas le droit.
Voilà, je l'ai fait. J'ai violé l'une des lois ancestrales de mon peuple : admettre notre existence en présence d'une humaine. Je souffle, remu la tête et me reconcentre sur le corps qui tremble contre moi. Elle lève les yeux. Ce que j'y vois m'excite. Je ne lui laisse pas le temps de réfléchir. Je me baisse, passe mon bras autour de sa taille et la soulève sans le moindre effort. Elle est gênée mais ne me repousse pas. Je sens ses mains s'agripper à mon dos. Je la plaque contre mon épaule et la tiens en place en enserrant ses cuisses. J'abaisse la poignée de la porte... Qui n'est même pas fermée à clé. Avant d'entrer, je fais demi-tour et j'attrape le fusil trempé posé sur le sol. Il est encore chaud, mais tellement plus froid que Emy contre ma peau.
Un dernier regard pour la forêt au loin. Je grogne. C'est un avertissement. Gabriel le sait. D'ailleurs, il disparait dans la nuit. Je passe le pas de la porte et ferme derrière nous, à clé cette fois. Je lâche le fusil sur le sol. Une fois dans le salon, je redresse doucement Emy. Elle est dans mes bras et sa tête dépasse la mienne. Ses mains sont sur mes épaules, les miennes autour de ses fesses.
Je perçois un éclair de lucidité dans son regard. L'instant d'après elle me repousse de toutes ses forces et manque de tomber en arrière. Par réflexe, je dégage une main de sous ses fesses et je la pose à l'arrière de son crane avant de pivoter vers le mur de l'entrée. Je ne veux pas que ça tête tape contre la cloison au moment où je stop sa chute.
—Si vous voulez que je vous lâche, il suffit de le dire. Vous n'avez pas besoin de faire une pirouette.
—Vous êtes sûr ?! Je ne crois pas vous avoir donné la permission de me porter tout à l'heure !
Elle marque un point. Je la fais glisser contre moi, jusqu'à ce que ses pieds touchent le sol.
C'est un supplice. Je ne peux pas jouer à ça. Pas maintenant. Elle est si intense, si réceptive...Et totalement shootée aussi.

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Point Final
VlkodlaciLa tempête explose dehors comme à l'intérieur de l'immense maison où vit Emy Black. La fièvre monte, le passé refait surface...Rien n'a jamais été aussi incertain pour cette auteur qui semble être la proie d'un animal féroce.