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-Emy -

Ça commence, mais je ne suis pas surprise nous avons tous été prévenus. Béatrice va nous contraindre à rester bien à l'abri chez nous pendant au moins trois jours. La tempête a été annoncée par les météorologues et l'information relayée par de nombreux médias. En temps normal je détesterais ça. Être enfermée. Surtout depuis l'incident.

Pas cette fois.

Je vais pouvoir prendre une pause. J'ai envoyé mon manuscrit à une grande maison d'édition la semaine dernière, enfin Ciara l'a envoyé, après un marathon d'écriture de deux mois. Deux mois à prendre des bains de foule, à courir partout pour capter la moindre bribe d'inspiration. Deux mois à faire du social, parce que c'est comme ça que j'écris le mieux, en étant au contact des autres, même si ça m'épuise. Quand je suis entourée, je me sens vite envahie. J'ai du mal à faire le tri entre ce qui m'appartient et ce qui est aux autres. Je ne parle pas d'affaires ou d'objets mais plus d'idées, de pensées ou d'émotions. C'est comme si je fusionnais avec eux. Alors oui, cette tempête tombe à pic. Je vais pouvoir me reposer pendant trois jours, sans avoir à me justifier. Je suis sauvage, c'est comme ça. J'aime autant être entouré que j'aime être seule. Quand il y a du monde je me sens pleine, parfois trop. 

Ma meute, c'est le silence. J'aime son bruit, sa capacité à remplir l'espace. Vraiment, cette tempête tombe à pic.

Je prends le temps de terminer mon thé avant de retourner devant l'immense baie vitrée de mon salon. J'admire le paysage. Ici, je suis entourée par la nature et j'ai souvent la sensation d'être au cœur d'un écosystème bien plus grand. Quand il fait beau, le salon est une porte ouverte sur le paradis. Lorsqu'il pleut en revanche, la scène change et je me retrouve happée au début d'un terrible cauchemar. Ça gronde dehors. Pourtant, j'aime cette mélodie. Le vent, la pluie et le tonnerre. Un trio brut, intense et sensuel qui nous rappelle notre insignifiance face à la toute-puissance de la nature. Il est quatre heures de l'après-midi, mais la couleur du ciel m'enveloppe déjà dans la pénombre.

Il faudra que je pense à remercier Ciara. Le jour où elle redonnera signe de vie. C'est vraiment grâce à elle que j'ai pu terminer ce roman et même le commencer à vrai dire. Elle a toujours des histoires à me raconter, elle m'inspire. Son imagination est débordante et elle a une capacité à entrer dans les détails de choses que je n'ose à peine suggérer. Elle aime parler pendant des heures. Elle en a besoin pour faire le vide. De mon côté, je bois ces paroles. Elles me transportent dans un monde où les règles sont différentes et où chaque mot que je veux écrire trouve instantanément sa place. D'une certaine manière, Ciara est ma muse. Elle m'amuse et m'use en même temps qu'elle me permet de libérer mon âme qui s'use à vivre dans un monde qui l'oppresse.

C'est le premier roman que je termine et quand je l'ai relu, je suis restée sur le cul. Ciara m'a poussé à envoyer le manuscrit à une maison d'édition. Une seule. Selon elle, je ne dois pas m'éparpiller. Alors je l'ai écouté. Maintenant, le temps du repos bien mérité est arrivé.

Ciara m'a trainé partout où elle a l'habitude d'aller pour que je puisse m'imprégner des ambiances, des lieux et des gens qu'elle rencontre. Ciara est l'héroïne de mon roman. Dans mon récit, elle incarne une métamorphe. Un être vivant capable de se transformer en animal, comme bon lui semble. Sous sa forme animale, sa force, ses sensations comme ses émotions sont décuplées. Je ne sais pas comment cette idée lui est venue, mais j'adore. Son histoire ne pouvait pas faire plus sens pour moi. Certes je ne me transforme pas, mais je vis certains évènements avec une extrême intensité. Là où la plupart des gens voient une banalité, je perçois, ressent et comprends une multitude d'autres éléments.

Cette idée est magnifique. Un personnage mi-humain, mi-animal c'est juste génial. Ça me donne l'opportunité d'explorer des parts du conscient et de l'inconscient, de faire passer un message. Bref, l'idée m'a tout de suite emballée.

Pour l'intrigue, je voulais quelque chose de simple, mais d'accrocheur en même temps, alors on est parti sur un classique : un meurtre. L'héroïne est témoin d'un crime et doit décider de se taire ou d'alerter la police. Manque de chance, le cadavre qu'elle découvre est celui d'un métamorphe comme elle, ce qui limite ses choix. Les autorités ne doivent pas découvrir l'existence des métamorphes. Que peut-elle faire ? C'est le dilemme : partir et laisser l'un des siens ou rester en prenant le risque d'être repéré par l'assassin. Après ça : un peu d'action, la rencontre d'un mec super sexy et un brin dangereux pour l'aider et le tour est joué. Judy, l'héroïne, finit par découvrir que le meurtrier est son amant, qu'il la fait chanter depuis le début et qu'il comptait lui faire porter le chapeau du meurtre. Bref, une histoire de vengeance qui se termine en bain de sang. 

Dans cette aventure, Judy rencontre Gabe et ils tombent tout de suite fou amoureux l'un de l'autre. C'est grâce à lui qu'il mette la main sur Waid, l'assassin de Julius. Ciara m'a conseillé de faire simple, un truc que je ne fais jamais.

—Tu as tout ce qu'il te faut. Une histoire de meurtre, des complots, du sexe et la solution au problème. Garde ça et amuse-toi avec les personnages. Pas besoin de chercher midi à quatorze heures. M'a-t-elle dit, la dernière fois que l'on sait vue, fais-moi signe quand tu as terminé, j'ai hâte !

Une fois passée la phase de réflexion, il ne m'a pas fallu plus d'un mois pour écrire le roman. En même temps, je n'ai fait que ça. Jour et nuit. Ciara avait raison, comme souvent. Je suis allée à l'essentiel et les mots se sont mis à glisser de mes doigts au clavier, comme si je n'inventais rien. Trente jours après avoir vu Ciara, je mettais le point final de l'histoire. Ce n'est pas forcément le genre de livre que je pensais écrire, mais fort est de constater que c'est ce que je viens de faire. J'ai envoyé le roman à Ciara et sans surprise, elle a adoré. D'ailleurs, c'est elle qui s'est chargée de faire parvenir le manuscrit à Ladytion, pour être sûre que je ne me ravise pas. Je porte une dernière fois ma tasse à mes lèvres et je souris en pensant à Ciara. C'est étrange comme elle me connait bien quand même.

Je me dirige dans la cuisine, dépose la tasse dans l'évier et retourne dans le salon. La nuit me fait face et je prends conscience de ma solitude. Mes doutes reviennent, mes peurs aussi et je sens la crise d'angoisse monter. J'aime être seule, j'aime la nuit, mais une part de moi reste totalement pétrifiée quand le changement est aussi rapide. Je viens de passer deux mois dans le bruit, dans la foule, dans le bouillon d'émotions qui s'échappe de nous, les humains.

Les êtres humains ? Voilà que je me crois dans mon roman.

Enfin, j'ai passé soixante jours entourée d'un nombre incalculable de personnes et là... Plus rien. Il ne reste que moi et l'attente. La lourde et pesante attente. Celle qui signifie que la tâche est terminée, le paquet envoyé et qu'on n'a plus voix au chapitre. Ça passe ou ça casse.

Et puis, il y a autre chose. Un truc qui me reste dans un coin de la tête, que j'ai vu pendant l'une de mes soirées avec Ciara. Un homme, enfin pas tout à fait. Je ne suis pas sûre de ce que j'ai vu et quand j'en ai parlé à Ciara, elle a ri.

—C'est super, tu commences à croire à ce que tu écris ! C'est la preuve que ton roman est bon !Et puis elle a ri de nouveau, m'a commandé un autre verre au bar et on n'en a plus jamais reparlé. 

Depuis, je doute. Je sais que ce dont je parle dans mon roman n'existe pas. Je n'ai jamais cru ni aux lutins, ni aux fées des bois et encore moins au Père Noël. Ce n'est pas aujourd'hui que je vais me mettre à avaler toutes ces histoires fantastiques. Pourtant, l'image de cet homme, de son corps tout en muscle et de ses crocs reste gravée dans ma tête. Comme une marque mentale que l'on aurait laissée dans mon cerveau. Une sorte d'avertissement, juste assez présent pour me rappeler une loi de l'univers à laquelle personne n'échappe.

Le karma. 

Point FinalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant