𝘁𝗮𝗯𝗼𝘂 | 𝟰

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— Est ce que tu l'aimes ?

— Maman ?

— Oui.

— Évidemment.

— Pourquoi ?

— C'est notre mère.

— Une mère ne traite pas ses enfants comme ça.

— Il y a des gens dans ce monde, Shuichi, qui tueraient pour avoir une mère.

— Il y a des gens dans ce monde, dont je fais partie, qui tueraient leur propre mère, Kyoko.

Et si le regard de l'adolescente aux pâles cheveux lavandes était d'une habituelle impassibilité, cette fois, la colère brilla dans ses yeux violets. Elle se leva de sa chaise et pointa d'un doigt accusateur son jeune frère.

— Comment oses-tu venir me voir moi et te plaindre ? elle hurla presque.

— Me plaindre de quoi ? De vivre avec une calamitée pareille ?

— Cette calamitée est ta mère ! Et toi, toi espèce d'ingrat, qui hérite du plus d'amour qu'elle nous offre te plains alors que moi qui n'hérite de rien venant d'elle l'aime de tout mon cœur !

Il se figea à ses mots.

Oui, sa mère l'aimait.

Sa mère l'aimait mais d'un amour presque maladif.

Sa mère l'aimait d'un amour inculqué d'une toxicité telle que sa vie en était presque devenue irrespirable.

Et même si, même si Kyoko disait vrai, même si il était le préféré de leur mère, si c'était pour se faire traiter ainsi, il préférait sombrer dans l'oubli froid et aride. Il préférait mourir et ternir dans l'indifférence de ses proches. Il préférait disparaître et que son absence soit aussi vite oubliée que son propre bonheur l'avait été.

Kyoko avait repris ses esprits. Elle le chassa d'un vague geste de la main et retourna à ses devoirs. Il quitta la chambre. Un miaulement l'appela. Son chat vint vers lui, queue bien relevée, oreilles dressées vers l'arrière, miaulant devant la porte de la cuisine menant au jardin, implorant à ce qu'il le laisse sortir.

Il prit le chat dans ses bras et le posa sur la table à manger. L'animal ronronna quand il se mit à le gratter sous le menton.

Et puis ses doigts se serrèrent autour du petit cou de son chat et il l'étrangla. Un petit halètement presque muet quitta la bouche de l'animal alors qu'il se léchait les babines, battant frénétiquement de la queue, bien trop effrayé pour tenter de fuir.

Il vit la détresse dans le regard de son chat. Il vit la peur dans ses grands yeux verts. Il sentit la peine et la culpabilité montée en lui comme une tornade et il lâcha l'animal. Il courut en direction de sa chambre et s'y enferma. Il se roula en boule sous ses couvertures, serrant ses genoux dans ses bras et éclata en sanglots.

Il pleura la souffrance qu'il vit. Il pleura la souffrance qu'il force ses proches à vivre. Il pleura sur la culpabilité qui le rangeait. Il pleura en repensant au regard tétaniser de son propre chat. Du chat qu'il avait lui même demandé. Du chat qu'il martyrise depuis son premier jour dans sa maison. Du chat qui venait toujours vers lui au début de son arrivée ici, quand il se roulait en boule à côté de lui sur son lit. Du chat qui le fuyait dès qu'il le voyait désormais.

Il pleura une souffrance que personne ne pouvait comprendre. Il pleura une souffrance dont il ne trouvait comme échappatoire que la patience de trois longues et interminables années.

Il s'endormit sous les liasses d'une peine incongrue par son tabou. 

𝐖𝐈𝐒𝐇 𝐌𝐄 𝐓𝐇𝐄 𝐁𝐄𝐒𝐓 | 𝘀𝗮𝗶𝗼𝘂𝗺𝗮Où les histoires vivent. Découvrez maintenant