Aventures nordiques

Prendre son envol

Depuis deux semaines, une pluie battante déferlait sur Bjørnøya. Les réservoirs d'eau avaient débordé, le foin avait pourri et les gutefars [1] trempés refusaient de sortir des étables. Tous les matins, Sven se réveillait au son du plic-ploc qui martelait la maison. Il passait une tête ensommeillée en dehors des peaux de mouton qui le couvraient pour voir, à travers la petite lucarne, la grisaille du ciel couvert. Il savait alors qu'une nouvelle journée ennuyeuse et humide commençait.

De l'autre côté de la masure, son oncle ronflait, le sommeil aussi lourd qu'une pierre tombale. Rien ne pouvait sortir Gunnar de sa torpeur lorsqu'il dormait, pas même les coups de tonnerre ou le vent mugissant par la cheminée.

Sven poussa un soupir en changeant de position. Allongé sur le dos, il observa de longues minutes les poutres au plafond, sur lesquelles une araignée tissait son palais de toile. N'ayant rien d'autre à faire que d'admirer son labeur, il assista avec morosité à la capture et l'exécution d'une mouche égarée. L'araignée ne perdit pas de temps pour entamer son repas.

Il aurait aimé ne pas perdre le sien, non plus. L'été commençait à peine et malgré le jour persistant, ils n'avaient pas vu la moindre trace d'un rayon de soleil. Les prés dégorgeaient d'eau et chaque jour le terrain vaseux menaçait d'engloutir un peu plus la maison, qui s'enfonçait sur ses fondations. La veille, la charrette de Gunnar s'était définitivement embourbée au pied de la barrière ; impossible de la dégager. De toute façon, avec un temps pareil, personne ne se rendait au marché. Il ne devait pas y avoir un péquenaud prêt à se mouiller pour refaire son stock de laine ou de poisson.

Sven sentit un courant d'air glacé chatouiller ses cheveux en bataille. Il se tourna vers la porte d'entrée au bois grossier et rongé par les mites. Ce fichu panneau ne les avait jamais isolés du froid. Après un énième frisson, il se défit de sa couverture et traversa l'eldaskáli[2] pour raviver les braises du feu. Une mince chaleur commença à se répandre dans la pièce.

Aujourd'hui aurait dû être un grand jour. Après des années d'insistance et de supplications, il avait obtenu l'assentiment de son oncle pour chevaucher pour la première fois de sa vie. Pas un cheval ou un renne. Non. Un dragon.

[...]

Sven rêvait d'apprendre à voler depuis qu'il avait cinq ans et qu'il avait vu pour la première fois des dragonniers passer au-dessus de leur masure. Leurs trajectoires serrées, leurs loopings et leurs cris de joie avaient émerveillé le petit garçon qu'il était alors. Il voulait connaître ces sensations lui aussi.

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[1] Espèce de mouton populaire à l'ère Viking, avec plusieurs paires de cornes recourbées vers l'extérieur.

[2] Pièce à vivre des maisons vikings, dans laquelle on trouvait le foyer et les couchages.

[suite de l'histoire dans le recueil]